Pour
faire une synthèse générale, pour écrire un traité d'économie complet
et bref, nous avons dû sacrifier des explications et des développements
plus complets sur l'ensemble des sujets ou des auteurs rapidement
survolés. Nous l'expliquons par les nécessités de choix pédagogiques
pour approcher l'objet-économie d'une manière globale, encyclopédique.
Nous n'avons pas pu explorer toutes les richesses des penseurs, des
idées que nous évoquons. Notre objectif par cet ouvrage, c'est de
comprendre comment fonctionne la science économique, quels sont les
enjeux de l'économie – en tant que science ou en tant que production
matérielle – et pourquoi la science économique vulgaire nous emmène dans
une voie sans issue. Nous voulons saisir ce qui génère l'impasse
économique dans laquelle nous nous débattons depuis des décennies – si
ce n'est des siècles – et ouvrir des perspectives.
Mais poursuivons cette esquisse de l'étude de la question de l'individu-masse en société capitaliste industrielle. Nous avons vu le problème de la singularité de manière générale, nous allons maintenant examiner l'articulation de l'individu comme devenir avec la société et l'environnement.
Marcuse s'oppose à Freud sur l'univocité de la notion de la civilisation : il ne reconnaît pas à l'intériorisation de l'interdit un caractère inéluctable. Pour lui, la socialisation, l'avènement de la culture, la vie en société n'alourdissent pas nécessairement les règles, les interdits, ils ne limitent pas nécessairement le psychisme, par l'intériorisation de ce que Freud appelait le principe de réalité – ou de son rejeton capitaliste, le principe de rendement, de winner ou d'efficience. La civilisation selon Marcuse peut s'inscrire et se construire dans un autre paradigme que celui de l'interdit social20. La société, la socialisation, la culture, l'être ensemble ne sont pas nécessairement opposés au principe de plaisir pour le philosophe de l'école de Francfort, déclaration qui, à la veille de 1968, de ses mouvements de libération des mœurs, ne constituait en rien une élucubration détachée de tout ancrage historique.
Pour Freud, dans la perspective phylogénétique, dans la perspective de l'histoire de l'espèce humaine, le père primitif vivait selon son seul principe de plaisir. Les fils se sont unis à un moment donné pour le tuer et pouvoir vivre, eux aussi, selon le principe de plaisir. Le père primitif étouffait les principes de plaisir des fils de son joug. Le père primitif tué devient le surmoi, la culpabilité, le cadre qui permet de faire société pour les fils sous la forme du « principe de réalité ».
En tuant le père, les fils se sont retrouvés seuls, sans autorité extérieure pour réguler leurs pulsions respectives. Ils ont dû, pour vivre ensemble sans s'entre-tuer, institutionnaliser et intérioriser les interdits du père qui leur étaient extérieurs avant le meurtre. Ce faisant, ils ont amélioré l'efficience de la civilisation (nous dirions qu'ils ont intériorisé la violence sociale) en prévenant toute possibilité de révolte contre un ordre incarné. L'ordre s'est fait système. Mais, pour Marcuse, l'intériorisation de l'ordre n'est pas une fatalité mais une conjoncture historique21.
Dans cette conjoncture historique, le principe de réalité – non nécessairement opposé au principe de plaisir, donc – se réduit au principe de rendement. La société devient la société orientée vers le gain et la concurrence au sein d'un processus d'expansion constant. De ce fait, l'organisation sociale s'incarne dans des procès de production toujours plus répressifs : pour la grande majorité des habitants, l'étendue et la forme de la satisfaction sont déterminées par l'usage de leur propre labeur, mais ce labeur est un travail pour un appareil qu'ils ne contrôlent pas, qui opère comme un pouvoir indépendant auquel les individus doivent se soumettre s'ils veulent vivre. Et, plus la division du travail se spécialise, plus cet appareil leur devient étranger. Les hommes ne vivent pas leur propre vie, mais remplissent des fonctions pré-établies22. Ce travail devient de plus en plus insupportable à mesure que s'étend la sphère capitaliste, le principe de rendement. Ce qui subsiste du travail concret aliène l'humain au sens propre. L'activité de production devient étrangère à la volonté et au singulier, le temps de travail […] est un temps pénible car le travail aliéné, c'est l'absence de satisfaction, la négation du principe de plaisir. La libido est détournée vers des travaux socialement utiles où l'individu ne travaille pour lui-même que dans la mesure où il travaille pour l'appareil engagé dans des activités qui ne coïncident […] ni avec ses propres facultés, ni avec ses désirs23.
Les logiques qui traversent l'individu sont universelles selon Marcuse. Les sujets subissent tous une logique qui est étrangère à leurs aspirations, à leurs spécificités ou à leur volonté. Le psychisme humain est animé d'un principe unique qui s'oppose au principe de système même. C'est dire que, pour Marcuse, le psychisme est système, il est constitué par des unités régies par des principes, des modes de fonctionnement universels mais il s'oppose au système tel qu'il est vécu, les aspirations du psychisme entrent en tension avec la réalité. Si la question du sujet demeure floue chez Marcuse, son principe propre, son penchant (faut-il l'assimiler au conatus?) domine le principe de réalité incarné dans le principe de rendement, il est considéré comme premier. Ce n'est pas le principe de plaisir qui est opposé au principe de réalité mais le principe de vie qui est opposé au principe de rendement. Le principe de rendement incarne le principe de réalité dans une conjoncture historique donnée, le capitalisme.
Mais poursuivons cette esquisse de l'étude de la question de l'individu-masse en société capitaliste industrielle. Nous avons vu le problème de la singularité de manière générale, nous allons maintenant examiner l'articulation de l'individu comme devenir avec la société et l'environnement.
Marcuse s'oppose à Freud sur l'univocité de la notion de la civilisation : il ne reconnaît pas à l'intériorisation de l'interdit un caractère inéluctable. Pour lui, la socialisation, l'avènement de la culture, la vie en société n'alourdissent pas nécessairement les règles, les interdits, ils ne limitent pas nécessairement le psychisme, par l'intériorisation de ce que Freud appelait le principe de réalité – ou de son rejeton capitaliste, le principe de rendement, de winner ou d'efficience. La civilisation selon Marcuse peut s'inscrire et se construire dans un autre paradigme que celui de l'interdit social20. La société, la socialisation, la culture, l'être ensemble ne sont pas nécessairement opposés au principe de plaisir pour le philosophe de l'école de Francfort, déclaration qui, à la veille de 1968, de ses mouvements de libération des mœurs, ne constituait en rien une élucubration détachée de tout ancrage historique.
Pour Freud, dans la perspective phylogénétique, dans la perspective de l'histoire de l'espèce humaine, le père primitif vivait selon son seul principe de plaisir. Les fils se sont unis à un moment donné pour le tuer et pouvoir vivre, eux aussi, selon le principe de plaisir. Le père primitif étouffait les principes de plaisir des fils de son joug. Le père primitif tué devient le surmoi, la culpabilité, le cadre qui permet de faire société pour les fils sous la forme du « principe de réalité ».
En tuant le père, les fils se sont retrouvés seuls, sans autorité extérieure pour réguler leurs pulsions respectives. Ils ont dû, pour vivre ensemble sans s'entre-tuer, institutionnaliser et intérioriser les interdits du père qui leur étaient extérieurs avant le meurtre. Ce faisant, ils ont amélioré l'efficience de la civilisation (nous dirions qu'ils ont intériorisé la violence sociale) en prévenant toute possibilité de révolte contre un ordre incarné. L'ordre s'est fait système. Mais, pour Marcuse, l'intériorisation de l'ordre n'est pas une fatalité mais une conjoncture historique21.
Dans cette conjoncture historique, le principe de réalité – non nécessairement opposé au principe de plaisir, donc – se réduit au principe de rendement. La société devient la société orientée vers le gain et la concurrence au sein d'un processus d'expansion constant. De ce fait, l'organisation sociale s'incarne dans des procès de production toujours plus répressifs : pour la grande majorité des habitants, l'étendue et la forme de la satisfaction sont déterminées par l'usage de leur propre labeur, mais ce labeur est un travail pour un appareil qu'ils ne contrôlent pas, qui opère comme un pouvoir indépendant auquel les individus doivent se soumettre s'ils veulent vivre. Et, plus la division du travail se spécialise, plus cet appareil leur devient étranger. Les hommes ne vivent pas leur propre vie, mais remplissent des fonctions pré-établies22. Ce travail devient de plus en plus insupportable à mesure que s'étend la sphère capitaliste, le principe de rendement. Ce qui subsiste du travail concret aliène l'humain au sens propre. L'activité de production devient étrangère à la volonté et au singulier, le temps de travail […] est un temps pénible car le travail aliéné, c'est l'absence de satisfaction, la négation du principe de plaisir. La libido est détournée vers des travaux socialement utiles où l'individu ne travaille pour lui-même que dans la mesure où il travaille pour l'appareil engagé dans des activités qui ne coïncident […] ni avec ses propres facultés, ni avec ses désirs23.
Les logiques qui traversent l'individu sont universelles selon Marcuse. Les sujets subissent tous une logique qui est étrangère à leurs aspirations, à leurs spécificités ou à leur volonté. Le psychisme humain est animé d'un principe unique qui s'oppose au principe de système même. C'est dire que, pour Marcuse, le psychisme est système, il est constitué par des unités régies par des principes, des modes de fonctionnement universels mais il s'oppose au système tel qu'il est vécu, les aspirations du psychisme entrent en tension avec la réalité. Si la question du sujet demeure floue chez Marcuse, son principe propre, son penchant (faut-il l'assimiler au conatus?) domine le principe de réalité incarné dans le principe de rendement, il est considéré comme premier. Ce n'est pas le principe de plaisir qui est opposé au principe de réalité mais le principe de vie qui est opposé au principe de rendement. Le principe de rendement incarne le principe de réalité dans une conjoncture historique donnée, le capitalisme.
Proposition
98
Le
'principe de plaisir' de l'individu n'est nécessairement ennemi
du 'principe de réalité' du social que dans une éthique de
violence sociale – notamment dans une éthique capitaliste
utopique.
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