Nous
en avons parlé, Marx parle du fétichisme de la marchandise. La
marchandise agit comme un dieu caché pour les capitalistes, elle
devient le chiffre de tout acte, le moteur de toute chose. Son
évidence, sa vérité demeurent évidente à travers tout, il est
impossible de les mettre en cause. Si l'attachement à la marchandise
est de l'ordre de la foi religieuse, absolu et impossible à mettre
en doute, l'effet actuel du fétichisme marchand se fait sentir dans
toutes les strates de la vie humaine en général et de l'économie
en particulier.
De
même, nous parlerons de fétichisme de l'argent quand il s’agit de
lui attribuer une puissance, une évidence et une légitimité
d'ordre religieux mais aussi quand les gens construisent leurs actes
en fonction de ce dieu monomaniaque. La croyance dans l'argent est
l'une des évidences sociales les plus troublantes : on attribue
à cette propriété liée à la marchandise une valeur absolue.
Quand un créancier avance de l'argent, le débiteur trouve normal de
lui rembourser – même si cet argent vient de la plus-value
extraite de force, par l'aiguillon de la nécessité – de son
propre travail. La foi dans l'argent, c'est admettre sans discuter
qu'un propriétaire accapare une partie significative de la valeur du
travail concret (et qu'il parasite le travail abstrait, nous l'avons
vu) à une personne, qu'ensuite le propriétaire devienne créancier
et prête de l'argent à celui à qui il l'a pris et que, pour prix
de ses services, le créancier-rentier soit rémunéré pour son
exploit. Au fond, le créancier prête l'argent qu'il a volé au
débiteur et, pour se faire, il corsète, contrôle et contraint
l'activité de ce débiteur.
Le
fétichisme de l'argent, c'est, toujours dans le domaine de la dette,
admettre et trouver normal qu'un pays sacrifie sa prospérité, qu'il
laisse mourir ses enfants de scorbut3,
qu'il détruise son tissu industriel, qu'il laisse mourir de faim ses
retraités, qu'il abandonne ses enfants et ses malades pour
rembourser ses dettes. L'argent des créanciers est pourtant toujours
issu de l'accumulation. Cette accumulation est toujours le
fait de la rente – puisque les salaires n'accumulent pas,
globalement – et la rente est toujours
une
catastrophe pour l'économie productive. À ce titre, on peut juger
que les appels à trier les dettes
illégitimes
(et
les dettes légitimes) participent de cette religion : dénoncer
une partie de la dette comme illégitime, c'est laisser croire qu'une
partie de la dette puisse être légitime alors que la dette obéit
toujours à
ces deux
principes :
elle est issue de la rente et elle est mortelle pour l'appareil
économique productif – et ce même si les créanciers sont des
saints, des grands hommes, des philanthropes, des évergètes ou des
amateurs de gros rouge.
Pour autant, le fétichisme de l'argent ne se limite pas à la
religion de la dette-créance qu'il faut « évidemment »
payer, il touche aussi
-
le
salaire au mérite
ou
la force de travail
Selon
la vision du salaire au mérite, c'est la quantité de force, la
quantité de choses produites par le travailleur qui doit déterminer
sa rémunération. Il s'agit de lier la production de choses réelles,
le travail concret à la production de valeur économique, au
salaire. S'il pleut, si la valeur économique du produit baisse,
c'est le salaire du travailleur qui est amputé. Tous les risques
sont à charge du saisonnier, du journalier et l'investisseur
découple sa rente de tout risque. La vision de la rémunération au
mérite va de pair avec une mystique de la rémunération comme
révélation d'un état de grâce, comme mise en acte d'un salut
antérieur, cette mise en acte du salut doit être quantitativement
strictement proportionnée aux actes prestés, au travail concret.
Cette façon de voir se heurte à cinq
contradictions
internes :
- l'investisseur ne travaille
pas et est tout de même (grassement) payé sans mérite au travail
aucun
- la concurrence pousse les
salaires à la baisse sans que le mérite des prestataires de travail
concret soit à mettre en cause (au contraire puisque le mérite
collectif pousse la rémunération individuelle à la baisse en
saturant l’offre de travail)
- les vieux, les malades, les
enfants ou les femmes enceintes en tant qu'improductifs ne méritent
pas de salaires (et on doit donc les laisser mourir dans une économie
fondée sur la rémunération à la force de travail) – si on
laisse mourir les vieux, les malades, les enfants et les femmes
enceintes, on est dans la fin de la culture, dans la fin de la
civilisation et de l'humanité
-
l'économie vénale parasite l'économie gratuite comme nous l'avons
vu plus haut. Les actes, le travail concret gratuit ne sont pas
rémunérés alors qu'ils sont susceptibles d'être pénibles,
répétitifs, rébarbatifs, etc. Inversement, le travail rémunéré
peut être intéressant, gai, agréable.
- le travail concret dans
l'économie vénale ne peut plus être donné. Les seules prestations
concrètes dans l'économie vénale sont celles qui sont rémunérées.
C'est ce qu'on appelle une grève du zèle et, quel que soit le
secteur concerné, le type de travail concret qu'implique le
processus productif, cette grève du zèle sabote la production de
manière très efficace.
Proposition
43
Le
fétichisme de l'argent est la naturalisation ou la divinisation
de l'argent.
Proposition
44
Le
fétichisme de l'argent trouve « naturel » de payer
les dettes ou de vendre sa force de travail.
|
Note
26. Le producérisme
Que
les puristes m'excusent ce néologisme à la hussarde. Puissent ils
admettre que ce sont parfois les réalités évoquées qui font
siffler les oreilles plus que les mots.
Définition
Extrait
d'un article de Jérôme Janin extrait de Politique4.
Chip
Berlet et Matthew Lyons définissent le « producérisme » [1] comme
« une des structures les plus élémentaires du récit populiste ».
Le producérisme évoque l’existence « d’une classe moyenne
noble et laborieuse constamment en conflit avec des parasites
malveillants, paresseux et coupables au sommet et au pied de l’ordre
social. Les personnages et les détails ont changé de façon
répétée, ajoutent Berlet et Lyons, mais les grandes
caractéristiques de cette conception des choses sont restées les
mêmes pendant près de deux cents ans »
Conséquences
Cette
façon de voir les choses des classes moyennes envahit l'intégralité
des médias dominants de manière hégémonique.
-
1.
Le mérite est lié au seul travail dans l'emploi.
Dans
cette optique, c'est la richesse créée dans l'emploi qui génère
seule la richesse sociale, le travail hors emploi ne génère pas de
richesse. Le salaire sanctionne un mérite, une tâche, un effort.
L'argent se gagne durement, par un labeur continu et soumis.
Les
parents ne produisent donc pas de valeur économique, les retraités
ne produisent pas de valeur économique et les fonctionnaires -
enseignants, médecins, pompiers, infirmières ou policiers - ne
produisent pas de valeur économique dans cette curieuse logique.
Pourtant, le fait de maîtriser la pensée ou le langage, par
exemple, est acquis par du travail gratuit, il conditionne la
productivité de tous les producteurs.
-
2.
Le travail de l'emploi est lié à une pénibilité, pas à une
soumission à un quelconque ordre
Cette
façon de voir fait l'impasse sur les rémunérations des
contre-maîtres, des esclaves domestiques par rapport aux esclaves
des champs. La rémunération est souvent inversement proportionnelle
à la prestation quantitative de travail sous emploi. Le pillage des
ressources communes est extrêmement bien rémunéré or il ne
produit aucune valeur économique, il en distrait, en accapare.
Le
travail en emploi ne produit pas de bien ou de service, il n'est pas
voué à être utile, à produire de la valeur d'usage. Il produit
seulement - et c'est à ce titre qu'il est rémunéré et
rémunérateur de la valeur d'échange - c'est-à-dire éventuellement
les pires choses qui soient, ou les meilleures, sans considération
pour la nature de la production mais à la seule fin de produire de
la valeur ajoutée.
-
3. Le
travail n'a pas de dimension sociale
Dans
la vision producériste, c'est l'individu qui 'gagne' son pain, qui
extrait, produit, fabrique la richesse, le travail n'est pas le fruit
d'interactions sociales. Cette façon de voir le travail est
parfaitement en phase avec les formes les plus individualistes, les
plus pernicieuses, les plus malsaines du management.
Aucune
forme de production ne peut en fait faire l'impasse sur les
productions antérieures, sur les traditions, l'héritage matériel
et immatériel ; toute production s'inscrit dans une chaîne
d'actions (éventuellement individuelles) - les mineurs extraient les
matières premières (et leur famille leur prépare les repas, tient
leur ménage, etc.), les ouvriers d'usine transforment le produit (et
leur famille), les commerciaux
rendent
le produit consommable (et leur famille), les designers
conçoivent
les produits (et leur famille), les vendeurs les vendent (et leur
famille), les paveurs ont fait la route pour amener les clients au
magasin (et leur famille), les ouvriers de la construction ont
construit le magasin (et leur famille), les ouvriers du pétrole ont
foré les puits et transporté le liquide qui a alimenté les
automobiles des clients, les camions des fournisseurs ou les machines
à tous les niveaux de la chaîne (et leur famille), les ouvriers
automobile ont fabriqué les voitures des clients (et leur famille).
La
valeur ajoutée elle-même est une convention sociale, elle repose in
fine sur le temps de travail cristallisé dans le produit par le
jeu de la production et de la concurrence. C'est la société qui
crée cette valeur que l'individu accapare au titre de salaire ou de
rémunération en fonction des rapports de force sociaux. Le salaire
reconnaît une position acquise par le truchement de la violence
sociale qui stratifie le champ social. Le désir du consommateur,
l'attrait de la marchandise sont des productions sociales. C'est le
désir comme machine sociale qui attribue la valeur aux choses.
Sans
besoins sociaux, l'économique n'existerait tout simplement pas: on
ne produit pas pour des morts.
-
4. ceux
qui ne 'méritent' pas leur croûte doivent en être privés
Les
visions de barbarie hantent cette vision du monde. Euthanasier les
vieux, massacrer les pauvres d'une ethnie quelconque, abolir
l'enfance sans emploi, interdire les malades ... Pour aller plus
loin, les inadaptés sociaux, trop sensibles, trop ou trop peu
intelligents, les dépressifs, les malades physiques ou mentaux, les
autistes, les blessés sont condamnés à 'être à charge' en tant
qu'improductifs (au sens de l'emploi). Pousser la logique de la
classe moyenne qui se 'charge' des improductifs jusqu'au bout, c'est
limiter l'humanité à son utilité économique capitaliste,
c'est-à-dire à dénier toute humanité aux faibles, aux malades,
aux poètes, aux rêveurs, aux sensibles, aux idéalistes, aux
paresseux, etc. Dans cette vision du monde, Galilée, Villon,
Rabelais, Shakespeare, Cervantes, Van Gogh, Mozart, des artistes,
Marie Curie, le facteur Cheval ou Jonas Salk, des fonctionnaires,
sont des parasites. L'idéologie tend à appuyer par la négative la
thèse de Luxemburg, 'socialisme ou barbarie' tant les idées
construites de cette façon, autour du mérite, du travail
individuel, de l'emploi laissent augurer d'une société en tout
point opposée au socialisme et à l'humanité.
Derrière
la modernité du producérisme se cache la mentalité de la dame
patronnesse qui distingue les « bons pauvres », les
méritants, ceux qui ne font pas de vague et se plaignent comme il
faut, des « mauvais pauvres », les remuants, les
syndiqués, ceux qui se battent encore pour leur dignité.
-
l'assurantiel
ou
salaire différé au mérite
L'assurantiel
est construit à partir de la même vision de la rémunération au
mérite que le salaire à la pièce, au mérite, à la force de
travail. Il s'agit d'attacher un droit – le salaire socialisé pour
la pension, pour le chômage ou pour l'invalidité – à une
cotisation individuelle. C'est parce que
le
travailleur a cotisé qu'il ouvre des droits individuels aux
prestations assurantielles. Cette manière de voir lie elle aussi le
mérite, la prestation individuelle de travail abstrait à un droit
individuel à une contrepartie financière.
Au
niveau technique, cette technique d'assurance s'apparente à la boîte
à chaussure. Ceux qui ont les moyens de remplir la boîte, la
remplissent et espèrent couler de vieux jours tranquilles à l'abri
de l'inflation – le fait que cette boîte soit une
entreprise qui prenne une commission sous forme de dividendes et de
frais de fonctionnement ne change rien au principe.
-
la légitimité de l'illégitime, la
sociopathie comme norme sociale
Dans
toute société, les comportements individuels soucieux du bien-être
collectif ont tendance à être valorisés socialement alors que les
comportements égoïstes, dans la mesure où ils mettent en cause la
survie ou la prospérité communes sont condamnés. Le vol, l'arnaque
ou l'usure ne sont pas des comportements individuels compatibles avec
une vie en communauté saine et apaisée puisqu'ils induisent la
guerre de tous contre tous, la méfiance et le sabotage. En marge de
ces considérations, le fétichisme de l'argent prend la richesse
monétaire pour la révélation d'un mérite individuel alors que
l'accumulation pille le travail concret d'autrui et qu'elle parasite
son travail abstrait. Si l'avidité est bonne, comme dans l'idéologie
d'une Ayn Rand, des libertariens, alors le pillage, l'arnaque, le vol
sont légitimés en tant que modèles sociaux. On construit alors une
société de sociopathes, étrangers au bien-être commun, à
l'intérêt de l'autre, par le fétiche de l'argent.
Cette
société n'est pas viable en tant que société – ce qui n'est
certes pas un problème en soi du point de vue économique – mais
elle menace aussi la prospérité générale, y compris celle de ceux
qui ne pillent personne, et constitue un danger pour tous les membres
de la société. La société libertarienne se heurte à un paradoxe
insurmontable. La propriété lucrative, le droit d'extraire de la
plus-value du fait de titres de propriété, s'oppose aussi bien à
la fin de l'État qu'à la liberté individuelle.
-
La violence sociale de la propriété lucrative (vous mourez de faim
alors qu'un propriétaire terrien laisse son champ en friche pour
spéculer sur la valeur du blé) impose un détenteur exclusif de la
violence légitime, un État. Faute d'État, les paysans sans terre
affamés récupèrent
la
terre avec leurs fourches. C'est la peur de la violence légitime de
l'État et elle seule qui prévient cette récupération, qui permet
à la propriété lucrative de s'imposer, de régner sur les
miséreux.
-
Par ailleurs, la liberté individuelle est entravée par la propriété
lucrative puisque, quand toutes les ressources communes ont été
accaparées par des propriétaires, les gens qui n'ont pas de
propriété sont contraints dans leur liberté à accepter les
conditions des propriétaires. Ils sont fondamentalement entravés
dans leur liberté. Les propriétaires lucratifs eux-mêmes sont
entravés dans leur liberté puisque leur droit de propriétaires
s'assortit de tradition, d'un statut à incarner soit par l'argent
(dans le cas du capitalisme) soit par la nature de la caste qu'ils
incarnent (dans le cas de l'ancien régime). Dans tous les cas, la
violence sociale de la propriété – et la violence extrême de la
propriété lucrative – fige les agents sociaux dans des rôles,
organise leur travail concret et abstrait et limite leur devenir
social.
Comme
l'explique Jacques Généreux, la vision pessimiste de Hobbes, de la
nécessité d'un État absolu qui jugule
les
mauvaises passions humaines ne s'oppose en rien à la théorie de la
main invisible6.
Si la main invisible paraît plus libérale, plus ouverte d'esprit,
plus soucieuse de liberté et plus philanthrope, à la réflexion, il
apparaît qu'il n'en est rien. L'État dictatorial contrôle les
passions humaines
d'un
humain inadapté à sa propre existence. L'humain est
né
dangereux pour lui-même, il est fondamentalement mauvais et l'État
lui permet, en dépit de sa
malignité
congénitale,
de faire société, de vivre avec ses pairs. Dans cette manière de
voir, l'Homme est un loup pour l'Homme.
La
main invisible construit la même vision de l'humain mais, au lieu
d'avoir un État violent qui organise et contrôle les passions
humaines, c'est la main invisible du marché qui s'en charge. Cette
main permet de transformer les mauvaises passions humaines en forces
sociales centripètes harmonieuses. L'Homme est intrinsèquement
mauvais également mais la main invisible fait de son vice vertu et
permet la société en
dépit de et
grâce au
mal humain congénital.
Dans
un cas comme dans l'autre, la liberté humaine est corsetée
dans
un cas par un monopole de la violence légitime ou, dans l'autre cas,
par un mécanisme régulateur. Le mécanisme régulateur, la main
invisible intègre une série de dispositifs : la dépossession
des communs, la propriété lucrative, les institutions du
capitalisme détaillées plus haut selon
Bernard
Friot ou la notion de plus-value. Dans aucunes des deux visions de
l'humanité, il n'est envisagé que l'humain est nécessairement
un
animal social, pour le meilleur comme pour le pire, et qu'il n'est
nul besoin de réguler (fût-ce par la main invisible de la propriété
lucrative) – comme il n'est nul besoin de réguler la société des
lapins ou des araignées qui se débrouillent très bien sans CAC40
et sans CRS.
Ce
n'est pas de la malignité humaine que protègent le CAC40 ou les
CRS. Ils incarnent un type de violence sociale, avec ses détracteurs,
ses thuriféraires, son opposition, ses victimes et ses
bénéficiaires. Ce type de violence sociale est défendu par les
bénéficiaires de la violence sociale et par leurs philosophes, par
leurs économistes appointés.
-
le travail concret vénal et gratuit.
Alors
que le travail vénal jouit d'une reconnaissance sociale exclusive,
le travail gratuit est déconsidéré. Le travail vénal est
naturalisé alors que le travail gratuit est nié, minimisé. À
l'extrême, la violence sociale du travail abstrait oint le travail
concret à la
source
de la légitimité. Le ménage doit être fait rapidement, la
présence d'enfants, de malades et de personnes âgés est vue comme
une perte de temps. Cette idéologie du temps utile comme temps vénal
fait l'impasse sur le fait que c'est
l'économie vénale qui parasite l'économie gratuite et non
l'inverse.
De
la même façon que les rentiers sapent les bases productives sur
lesquelles repose leur parasitisme, les tenants du temps vendu et
acheté sapent la production gratuite dont le travail abstrait a
besoin comme extérieur. Nous avons vu que, sans extérieur, le
travail vénal, l'outil productif capitaliste et l'accumulation
s'effondrent très rapidement faute de marchés pour réaliser le
capital. En d'autres termes, ce ne sont pas les employés qui aident
les malades, les chômeurs ou les retraités, ce sont les retraités,
les chômeurs et les malades qui, par leurs salaires, par la
reconnaissance
salariale de leur contribution à la
production
de valeur économique, permettent à la production de valeur
économique de se vendre, c'est eux qui constituent le cœur de
l'économie productive de valeur et qui permettent aux parasites de
ne pas faire effondrer le système.
Note
27. Les chômeurs et les fonctionnaires créent la valeur ajoutée
correspondant à leur salaire
Que
nos courageux lecteurs nous pardonnent cette démonstration
laborieuse. Il nous faut partir des fondements de l'économie
politique pour tenter de comprendre ce qui se passe quand un salaire
socialisé est touché par un chômeur, un fonctionnaire, un retraité
ou un invalide.
1.
Il nous faut d'abord reprendre la distinction entre la valeur d'usage
et la valeur économique. L'économie s'occupe de production de
valeur d'échange, non de valeur d'usage. L'employé est payé non
pour produire des biens et des services (s'il en produit, c'est de
manière, paradoxalement, accessoire), il est payé pour produire une
valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée peut ne correspondre à aucune
valeur humaine produite - valeur en terme de besoins ou de désirs
matériels ou non.
Prenons
l'exemple d'une compagnie ferroviaire quelconque. Elle gère des
infrastructures de transports, du matériel roulant, du transport de
marchandises et de personne. Tous ces différents secteurs se rendent
mutuellement service sans qu'il y ait facturation. Dans le cadre de
la privatisation du rail anglais, les différentes sections ont
facturé leurs prestations aux autres ce qui a créé de la valeur
ajoutée sans le moindre supplément d'activité ou de service
produits.
La
convention du travail porte sur une création de valeur (économique)
ajoutée, non sur la façon, l'ouvrage ou la réalisation de biens et
de services en particuliers. On peut être payé pour saboter, pour
abîmer, pour gâcher, pour salir, pour polluer ... ce qui ôte de la
valeur d'usage au cadre de vie de la communauté. De sorte qu'un
couvreur n'est pas payé pour faire un toit mais pour produire de la
valeur économique ajoutée par le biais de chantier. Ceci a l'air
anodin mais ne l'est pas du tout puisque la logique de la valeur
d'usage voudrait que le toit fût correctement effectué alors que la
logique de la valeur économique exige que l'ouvrage soit réalisé
le plus rapidement possible et que les défauts de façon soient
couverts par l'assurance ou invisibles. Si le toit, source de profit,
ne fuit pas, c'est tout à fait fortuit.
2.
L'emploi est une convention qui rémunère des gens, les employés,
contre un salaire. Cette rémunération sanctionne la création de
valeur ajoutée que génère leur activité. La valeur ajoutée,
c'est le prix moins les frais.
(5.2)
Prix=Frais+Valeur
ajoutée (VA)
Dans
la valeur ajoutée, créée par le seul travail (le capital ne crée
pas de valeur, essayez d'enterrer une boîte à chaussure remplie
d'argent et, au bout d'un an, vous n'aurez absolument aucune bonne
surprise).
Cette
valeur ajoutée est constituée
-
des salaires (individuels et socialisés)
-
des investissements qui appartiennent aux propriétaires lucratifs
alors qu'ils sont produits, comme nous le voyons, par le travail
comme valeur ajoutée
-
des dividendes reversées aux propriétaires lucratifs comme gabelle,
ces propriétaires peuvent être des propriétaires directs, des
actionnaires ou des créanciers.
(5.3)
VA
= Salaires (ind. et socialisés) + Investissements + Dividendes
3.
La totalité des valeurs ajoutées à l'échelle d'un pays constitue
le PIB (ou PNB selon qu'on tienne compte du territoire ou des
nationaux).
4.
Les salaires sont constitués par les salaires socialisés et par les
salaires individuels. Les salaires individuels figurent sur les
fiches de paie. Ils sont néanmoins amputés par les TVA sur la
consommation.
Les
salaires socialisés sont constitués de
-
la sécurité sociale attestée par la cotisation sociale
-
les salaires des fonctionnaires attestés par les impôts.
5.
Les salaires sociaux ne coûtent rien aux salaires individuels.
Cette
notion est peut-être la plus délicate à comprendre dans la
démonstration.
Nous
avons plusieurs éléments de preuve: quand on rajoute une cotisation
sociale ou que l'on l'augmente, l'augmentation se répercute par une
augmentation du PIB, pas par une diminution de salaire individuel.
D'autre
part, quand un salaire individuel est amputé de cotisation sociale
(c'est le cas, à des degrés divers, de tous les 'contrats aidés',
de tous les contrats 'jeunes' et autres monstruosités
anti-sociales), on voit que le salaire individuel n'augmente pas
(voire diminue).
6.
Les salaires sociaux soutiennent les salaires individuels. Ceci est
plus simple à comprendre, plus intuitif. Si les chômeurs ou les
retraités perdent toute allocation, ils vont chercher un travail à
tout prix - y compris au prix du salaire. Ces malheureux vont
inéluctablement pousser les salaires de leurs collègues à la
baisse.
7.
Les salaires - individuels ou sociaux - sont dépensés quasiment
intégralement (contrairement aux dividendes). Un salaire dépensé
l'est en tant que valeurs ajoutée de certaines productions. Mettons
que je dépense mon chômage, mon salaire fonctionnaire ou mon
salaire ouvrier à acheter des machins, l'achat de ces machins crée
une valeur ajoutée, permet de transformer une production en capital
à des entreprises qui, du coup, peuvent tourner.
De
ce fait, quand les salaires augmentent (et nous ne distinguons pas
les salaires individuels et les salaires socialisés dans notre
raisonnement), la valeur ajoutée au terme du processus de production
augmente
(5.4)
M'>M
avec C'>C
8.
Quand on met ces éléments ensemble, on constate que le chômeur, le
retraité ou le fonctionnaire créent le salaire socialisés qu'ils
touchent ou, pour le dire autrement, s'ils cessaient de toucher leurs
indemnités, elles iraient dans un premier temps aux dividendes.
Comme les entreprises sont en concurrence entre elles, elles seraient
finalement amenées à diminuer leur taux de bénéfice ce qui
ramènerait les valeurs ajoutée à leur niveau de départ diminué
des salaires sociaux.
Donc,
les gens qui touchent les salaires sociaux les créent. Si on
supprime ces salaires sociaux, on ampute le PIB d'autant sans que
personne n'en profite.
Harribey
a démontré que les impôts augmentaient les prix, la valeur
ajoutée et le PIB. Tout se passe comme si toutes les entreprises en
concurrence devaient intégrer leurs impôts en plus de leur
prix et, comme ils le font tous, c'est sans effet sur les positions
concurrentielles relatives mais l'augmentation de prix nourrit la
valeur ajoutée au niveau global, le PIB. Comme la valeur ajoutée
représente à peu près un cinquième du total des prix,
l'augmentation des impôts ou des cotisations de trente pour cent,
par exemple, fera augmenter les prix de six pour cent seulement dans
un premier temps.
Friot
montre que les cotisations sociales fonctionnent de la même façon :
elles sont un ajout de valeur ajoutée et non une quelconque
ponction.
Il
y a mieux: comme les salaires se contractent, si l'on diminue les
salaires sociaux, la demande diminue. Comme la demande diminue, la
valeur ajoutée totale diminue, ce qui pousse à comprimer les
salaires, comme les salaires sont diminués, la demande se contracte,
etc.
C'est
ce qu'on appelle une crise de surproduction.
Proposition
45
Les
chômeurs et les retraités créent la valeur ajoutée
correspondant à leur salaire.
Proposition
46
Pour
augmenter la production de valeur économique de quelqu'un, il
faut et il suffit d'en augmenter le salaire individuel ou
socialisé.
|