Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Le fétichisme de l'argent

Nous en avons parlé, Marx parle du fétichisme de la marchandise. La marchandise agit comme un dieu caché pour les capitalistes, elle devient le chiffre de tout acte, le moteur de toute chose. Son évidence, sa vérité demeurent évidente à travers tout, il est impossible de les mettre en cause. Si l'attachement à la marchandise est de l'ordre de la foi religieuse, absolu et impossible à mettre en doute, l'effet actuel du fétichisme marchand se fait sentir dans toutes les strates de la vie humaine en général et de l'économie en particulier.

De même, nous parlerons de fétichisme de l'argent quand il s’agit de lui attribuer une puissance, une évidence et une légitimité d'ordre religieux mais aussi quand les gens construisent leurs actes en fonction de ce dieu monomaniaque. La croyance dans l'argent est l'une des évidences sociales les plus troublantes : on attribue à cette propriété liée à la marchandise une valeur absolue. Quand un créancier avance de l'argent, le débiteur trouve normal de lui rembourser – même si cet argent vient de la plus-value extraite de force, par l'aiguillon de la nécessité – de son propre travail. La foi dans l'argent, c'est admettre sans discuter qu'un propriétaire accapare une partie significative de la valeur du travail concret (et qu'il parasite le travail abstrait, nous l'avons vu) à une personne, qu'ensuite le propriétaire devienne créancier et prête de l'argent à celui à qui il l'a pris et que, pour prix de ses services, le créancier-rentier soit rémunéré pour son exploit. Au fond, le créancier prête l'argent qu'il a volé au débiteur et, pour se faire, il corsète, contrôle et contraint l'activité de ce débiteur.

Le fétichisme de l'argent, c'est, toujours dans le domaine de la dette, admettre et trouver normal qu'un pays sacrifie sa prospérité, qu'il laisse mourir ses enfants de scorbut3, qu'il détruise son tissu industriel, qu'il laisse mourir de faim ses retraités, qu'il abandonne ses enfants et ses malades pour rembourser ses dettes. L'argent des créanciers est pourtant toujours issu de l'accumulation. Cette accumulation est toujours le fait de la rente – puisque les salaires n'accumulent pas, globalement – et la rente est toujours une catastrophe pour l'économie productive. À ce titre, on peut juger que les appels à trier les dettes illégitimes (et les dettes légitimes) participent de cette religion : dénoncer une partie de la dette comme illégitime, c'est laisser croire qu'une partie de la dette puisse être légitime alors que la dette obéit toujours à ces deux principes : elle est issue de la rente et elle est mortelle pour l'appareil économique productif – et ce même si les créanciers sont des saints, des grands hommes, des philanthropes, des évergètes ou des amateurs de gros rouge.

Pour autant, le fétichisme de l'argent ne se limite pas à la religion de la dette-créance qu'il faut « évidemment » payer, il touche aussi

- le salaire au mérite ou la force de travail

Selon la vision du salaire au mérite, c'est la quantité de force, la quantité de choses produites par le travailleur qui doit déterminer sa rémunération. Il s'agit de lier la production de choses réelles, le travail concret à la production de valeur économique, au salaire. S'il pleut, si la valeur économique du produit baisse, c'est le salaire du travailleur qui est amputé. Tous les risques sont à charge du saisonnier, du journalier et l'investisseur découple sa rente de tout risque. La vision de la rémunération au mérite va de pair avec une mystique de la rémunération comme révélation d'un état de grâce, comme mise en acte d'un salut antérieur, cette mise en acte du salut doit être quantitativement strictement proportionnée aux actes prestés, au travail concret. Cette façon de voir se heurte à cinq contradictions internes :

- l'investisseur ne travaille pas et est tout de même (grassement) payé sans mérite au travail aucun



- la concurrence pousse les salaires à la baisse sans que le mérite des prestataires de travail concret soit à mettre en cause (au contraire puisque le mérite collectif pousse la rémunération individuelle à la baisse en saturant l’offre de travail)



- les vieux, les malades, les enfants ou les femmes enceintes en tant qu'improductifs ne méritent pas de salaires (et on doit donc les laisser mourir dans une économie fondée sur la rémunération à la force de travail) – si on laisse mourir les vieux, les malades, les enfants et les femmes enceintes, on est dans la fin de la culture, dans la fin de la civilisation et de l'humanité



- l'économie vénale parasite l'économie gratuite comme nous l'avons vu plus haut. Les actes, le travail concret gratuit ne sont pas rémunérés alors qu'ils sont susceptibles d'être pénibles, répétitifs, rébarbatifs, etc. Inversement, le travail rémunéré peut être intéressant, gai, agréable.



- le travail concret dans l'économie vénale ne peut plus être donné. Les seules prestations concrètes dans l'économie vénale sont celles qui sont rémunérées. C'est ce qu'on appelle une grève du zèle et, quel que soit le secteur concerné, le type de travail concret qu'implique le processus productif, cette grève du zèle sabote la production de manière très efficace.


Proposition 43
Le fétichisme de l'argent est la naturalisation ou la divinisation de l'argent.
Proposition 44
Le fétichisme de l'argent trouve « naturel » de payer les dettes ou de vendre sa force de travail.


Note 26. Le producérisme

Que les puristes m'excusent ce néologisme à la hussarde. Puissent ils admettre que ce sont parfois les réalités évoquées qui font siffler les oreilles plus que les mots.



Définition



Extrait d'un article de Jérôme Janin extrait de Politique4.



Chip Berlet et Matthew Lyons définissent le « producérisme » [1] comme « une des structures les plus élémentaires du récit populiste ». Le producérisme évoque l’existence « d’une classe moyenne noble et laborieuse constamment en conflit avec des parasites malveillants, paresseux et coupables au sommet et au pied de l’ordre social. Les personnages et les détails ont changé de façon répétée, ajoutent Berlet et Lyons, mais les grandes caractéristiques de cette conception des choses sont restées les mêmes pendant près de deux cents ans »



Conséquences



Cette façon de voir les choses des classes moyennes envahit l'intégralité des médias dominants de manière hégémonique.



- 1. Le mérite est lié au seul travail dans l'emploi.



Dans cette optique, c'est la richesse créée dans l'emploi qui génère seule la richesse sociale, le travail hors emploi ne génère pas de richesse. Le salaire sanctionne un mérite, une tâche, un effort. L'argent se gagne durement, par un labeur continu et soumis.



Les parents ne produisent donc pas de valeur économique, les retraités ne produisent pas de valeur économique et les fonctionnaires - enseignants, médecins, pompiers, infirmières ou policiers - ne produisent pas de valeur économique dans cette curieuse logique. Pourtant, le fait de maîtriser la pensée ou le langage, par exemple, est acquis par du travail gratuit, il conditionne la productivité de tous les producteurs.



- 2. Le travail de l'emploi est lié à une pénibilité, pas à une soumission à un quelconque ordre



Cette façon de voir fait l'impasse sur les rémunérations des contre-maîtres, des esclaves domestiques par rapport aux esclaves des champs. La rémunération est souvent inversement proportionnelle à la prestation quantitative de travail sous emploi. Le pillage des ressources communes est extrêmement bien rémunéré or il ne produit aucune valeur économique, il en distrait, en accapare.



Le travail en emploi ne produit pas de bien ou de service, il n'est pas voué à être utile, à produire de la valeur d'usage. Il produit seulement - et c'est à ce titre qu'il est rémunéré et rémunérateur de la valeur d'échange - c'est-à-dire éventuellement les pires choses qui soient, ou les meilleures, sans considération pour la nature de la production mais à la seule fin de produire de la valeur ajoutée.



- 3. Le travail n'a pas de dimension sociale



Dans la vision producériste, c'est l'individu qui 'gagne' son pain, qui extrait, produit, fabrique la richesse, le travail n'est pas le fruit d'interactions sociales. Cette façon de voir le travail est parfaitement en phase avec les formes les plus individualistes, les plus pernicieuses, les plus malsaines du management.



Aucune forme de production ne peut en fait faire l'impasse sur les productions antérieures, sur les traditions, l'héritage matériel et immatériel ; toute production s'inscrit dans une chaîne d'actions (éventuellement individuelles) - les mineurs extraient les matières premières (et leur famille leur prépare les repas, tient leur ménage, etc.), les ouvriers d'usine transforment le produit (et leur famille), les commerciaux rendent le produit consommable (et leur famille), les designers conçoivent les produits (et leur famille), les vendeurs les vendent (et leur famille), les paveurs ont fait la route pour amener les clients au magasin (et leur famille), les ouvriers de la construction ont construit le magasin (et leur famille), les ouvriers du pétrole ont foré les puits et transporté le liquide qui a alimenté les automobiles des clients, les camions des fournisseurs ou les machines à tous les niveaux de la chaîne (et leur famille), les ouvriers automobile ont fabriqué les voitures des clients (et leur famille).



La valeur ajoutée elle-même est une convention sociale, elle repose in fine sur le temps de travail cristallisé dans le produit par le jeu de la production et de la concurrence. C'est la société qui crée cette valeur que l'individu accapare au titre de salaire ou de rémunération en fonction des rapports de force sociaux. Le salaire reconnaît une position acquise par le truchement de la violence sociale qui stratifie le champ social. Le désir du consommateur, l'attrait de la marchandise sont des productions sociales. C'est le désir comme machine sociale qui attribue la valeur aux choses.



Sans besoins sociaux, l'économique n'existerait tout simplement pas: on ne produit pas pour des morts.



- 4. ceux qui ne 'méritent' pas leur croûte doivent en être privés



Les visions de barbarie hantent cette vision du monde. Euthanasier les vieux, massacrer les pauvres d'une ethnie quelconque, abolir l'enfance sans emploi, interdire les malades ... Pour aller plus loin, les inadaptés sociaux, trop sensibles, trop ou trop peu intelligents, les dépressifs, les malades physiques ou mentaux, les autistes, les blessés sont condamnés à 'être à charge' en tant qu'improductifs (au sens de l'emploi). Pousser la logique de la classe moyenne qui se 'charge' des improductifs jusqu'au bout, c'est limiter l'humanité à son utilité économique capitaliste, c'est-à-dire à dénier toute humanité aux faibles, aux malades, aux poètes, aux rêveurs, aux sensibles, aux idéalistes, aux paresseux, etc. Dans cette vision du monde, Galilée, Villon, Rabelais, Shakespeare, Cervantes, Van Gogh, Mozart, des artistes, Marie Curie, le facteur Cheval ou Jonas Salk, des fonctionnaires, sont des parasites. L'idéologie tend à appuyer par la négative la thèse de Luxemburg, 'socialisme ou barbarie' tant les idées construites de cette façon, autour du mérite, du travail individuel, de l'emploi laissent augurer d'une société en tout point opposée au socialisme et à l'humanité.



Derrière la modernité du producérisme se cache la mentalité de la dame patronnesse qui distingue les « bons pauvres », les méritants, ceux qui ne font pas de vague et se plaignent comme il faut, des « mauvais pauvres », les remuants, les syndiqués, ceux qui se battent encore pour leur dignité.

- l'assurantiel ou salaire différé au mérite

L'assurantiel est construit à partir de la même vision de la rémunération au mérite que le salaire à la pièce, au mérite, à la force de travail. Il s'agit d'attacher un droit – le salaire socialisé pour la pension, pour le chômage ou pour l'invalidité – à une cotisation individuelle. C'est parce que le travailleur a cotisé qu'il ouvre des droits individuels aux prestations assurantielles. Cette manière de voir lie elle aussi le mérite, la prestation individuelle de travail abstrait à un droit individuel à une contrepartie financière.



Au niveau technique, cette technique d'assurance s'apparente à la boîte à chaussure. Ceux qui ont les moyens de remplir la boîte, la remplissent et espèrent couler de vieux jours tranquilles à l'abri de l'inflation – le fait que cette boîte soit une entreprise qui prenne une commission sous forme de dividendes et de frais de fonctionnement ne change rien au principe.

- la légitimité de l'illégitime, la sociopathie comme norme sociale

Dans toute société, les comportements individuels soucieux du bien-être collectif ont tendance à être valorisés socialement alors que les comportements égoïstes, dans la mesure où ils mettent en cause la survie ou la prospérité communes sont condamnés. Le vol, l'arnaque ou l'usure ne sont pas des comportements individuels compatibles avec une vie en communauté saine et apaisée puisqu'ils induisent la guerre de tous contre tous, la méfiance et le sabotage. En marge de ces considérations, le fétichisme de l'argent prend la richesse monétaire pour la révélation d'un mérite individuel alors que l'accumulation pille le travail concret d'autrui et qu'elle parasite son travail abstrait. Si l'avidité est bonne, comme dans l'idéologie d'une Ayn Rand, des libertariens, alors le pillage, l'arnaque, le vol sont légitimés en tant que modèles sociaux. On construit alors une société de sociopathes, étrangers au bien-être commun, à l'intérêt de l'autre, par le fétiche de l'argent.



Cette société n'est pas viable en tant que société – ce qui n'est certes pas un problème en soi du point de vue économique – mais elle menace aussi la prospérité générale, y compris celle de ceux qui ne pillent personne, et constitue un danger pour tous les membres de la société. La société libertarienne se heurte à un paradoxe insurmontable. La propriété lucrative, le droit d'extraire de la plus-value du fait de titres de propriété, s'oppose aussi bien à la fin de l'État qu'à la liberté individuelle.



- La violence sociale de la propriété lucrative (vous mourez de faim alors qu'un propriétaire terrien laisse son champ en friche pour spéculer sur la valeur du blé) impose un détenteur exclusif de la violence légitime, un État. Faute d'État, les paysans sans terre affamés récupèrent la terre avec leurs fourches. C'est la peur de la violence légitime de l'État et elle seule qui prévient cette récupération, qui permet à la propriété lucrative de s'imposer, de régner sur les miséreux.



- Par ailleurs, la liberté individuelle est entravée par la propriété lucrative puisque, quand toutes les ressources communes ont été accaparées par des propriétaires, les gens qui n'ont pas de propriété sont contraints dans leur liberté à accepter les conditions des propriétaires. Ils sont fondamentalement entravés dans leur liberté. Les propriétaires lucratifs eux-mêmes sont entravés dans leur liberté puisque leur droit de propriétaires s'assortit de tradition, d'un statut à incarner soit par l'argent (dans le cas du capitalisme) soit par la nature de la caste qu'ils incarnent (dans le cas de l'ancien régime). Dans tous les cas, la violence sociale de la propriété – et la violence extrême de la propriété lucrative – fige les agents sociaux dans des rôles, organise leur travail concret et abstrait et limite leur devenir social.



- la main invisible ou le léviathan du laisser-faire5

Comme l'explique Jacques Généreux, la vision pessimiste de Hobbes, de la nécessité d'un État absolu qui jugule les mauvaises passions humaines ne s'oppose en rien à la théorie de la main invisible6. Si la main invisible paraît plus libérale, plus ouverte d'esprit, plus soucieuse de liberté et plus philanthrope, à la réflexion, il apparaît qu'il n'en est rien. L'État dictatorial contrôle les passions humaines d'un humain inadapté à sa propre existence. L'humain est né dangereux pour lui-même, il est fondamentalement mauvais et l'État lui permet, en dépit de sa malignité congénitale, de faire société, de vivre avec ses pairs. Dans cette manière de voir, l'Homme est un loup pour l'Homme.



La main invisible construit la même vision de l'humain mais, au lieu d'avoir un État violent qui organise et contrôle les passions humaines, c'est la main invisible du marché qui s'en charge. Cette main permet de transformer les mauvaises passions humaines en forces sociales centripètes harmonieuses. L'Homme est intrinsèquement mauvais également mais la main invisible fait de son vice vertu et permet la société en dépit de et grâce au mal humain congénital.



Dans un cas comme dans l'autre, la liberté humaine est corsetée dans un cas par un monopole de la violence légitime ou, dans l'autre cas, par un mécanisme régulateur. Le mécanisme régulateur, la main invisible intègre une série de dispositifs : la dépossession des communs, la propriété lucrative, les institutions du capitalisme détaillées plus haut selon Bernard Friot ou la notion de plus-value. Dans aucunes des deux visions de l'humanité, il n'est envisagé que l'humain est nécessairement un animal social, pour le meilleur comme pour le pire, et qu'il n'est nul besoin de réguler (fût-ce par la main invisible de la propriété lucrative) – comme il n'est nul besoin de réguler la société des lapins ou des araignées qui se débrouillent très bien sans CAC40 et sans CRS.



Ce n'est pas de la malignité humaine que protègent le CAC40 ou les CRS. Ils incarnent un type de violence sociale, avec ses détracteurs, ses thuriféraires, son opposition, ses victimes et ses bénéficiaires. Ce type de violence sociale est défendu par les bénéficiaires de la violence sociale et par leurs philosophes, par leurs économistes appointés.

- le travail concret vénal et gratuit.

Alors que le travail vénal jouit d'une reconnaissance sociale exclusive, le travail gratuit est déconsidéré. Le travail vénal est naturalisé alors que le travail gratuit est nié, minimisé. À l'extrême, la violence sociale du travail abstrait oint le travail concret à la source de la légitimité. Le ménage doit être fait rapidement, la présence d'enfants, de malades et de personnes âgés est vue comme une perte de temps. Cette idéologie du temps utile comme temps vénal fait l'impasse sur le fait que c'est l'économie vénale qui parasite l'économie gratuite et non l'inverse.



De la même façon que les rentiers sapent les bases productives sur lesquelles repose leur parasitisme, les tenants du temps vendu et acheté sapent la production gratuite dont le travail abstrait a besoin comme extérieur. Nous avons vu que, sans extérieur, le travail vénal, l'outil productif capitaliste et l'accumulation s'effondrent très rapidement faute de marchés pour réaliser le capital. En d'autres termes, ce ne sont pas les employés qui aident les malades, les chômeurs ou les retraités, ce sont les retraités, les chômeurs et les malades qui, par leurs salaires, par la reconnaissance salariale de leur contribution à la production de valeur économique, permettent à la production de valeur économique de se vendre, c'est eux qui constituent le cœur de l'économie productive de valeur et qui permettent aux parasites de ne pas faire effondrer le système.

Note 27. Les chômeurs et les fonctionnaires créent la valeur ajoutée correspondant à leur salaire

Que nos courageux lecteurs nous pardonnent cette démonstration laborieuse. Il nous faut partir des fondements de l'économie politique pour tenter de comprendre ce qui se passe quand un salaire socialisé est touché par un chômeur, un fonctionnaire, un retraité ou un invalide.



1. Il nous faut d'abord reprendre la distinction entre la valeur d'usage et la valeur économique. L'économie s'occupe de production de valeur d'échange, non de valeur d'usage. L'employé est payé non pour produire des biens et des services (s'il en produit, c'est de manière, paradoxalement, accessoire), il est payé pour produire une valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée peut ne correspondre à aucune valeur humaine produite - valeur en terme de besoins ou de désirs matériels ou non.



Prenons l'exemple d'une compagnie ferroviaire quelconque. Elle gère des infrastructures de transports, du matériel roulant, du transport de marchandises et de personne. Tous ces différents secteurs se rendent mutuellement service sans qu'il y ait facturation. Dans le cadre de la privatisation du rail anglais, les différentes sections ont facturé leurs prestations aux autres ce qui a créé de la valeur ajoutée sans le moindre supplément d'activité ou de service produits.



La convention du travail porte sur une création de valeur (économique) ajoutée, non sur la façon, l'ouvrage ou la réalisation de biens et de services en particuliers. On peut être payé pour saboter, pour abîmer, pour gâcher, pour salir, pour polluer ... ce qui ôte de la valeur d'usage au cadre de vie de la communauté. De sorte qu'un couvreur n'est pas payé pour faire un toit mais pour produire de la valeur économique ajoutée par le biais de chantier. Ceci a l'air anodin mais ne l'est pas du tout puisque la logique de la valeur d'usage voudrait que le toit fût correctement effectué alors que la logique de la valeur économique exige que l'ouvrage soit réalisé le plus rapidement possible et que les défauts de façon soient couverts par l'assurance ou invisibles. Si le toit, source de profit, ne fuit pas, c'est tout à fait fortuit.



2. L'emploi est une convention qui rémunère des gens, les employés, contre un salaire. Cette rémunération sanctionne la création de valeur ajoutée que génère leur activité. La valeur ajoutée, c'est le prix moins les frais.



(5.2)

Prix=Frais+Valeur ajoutée (VA)



Dans la valeur ajoutée, créée par le seul travail (le capital ne crée pas de valeur, essayez d'enterrer une boîte à chaussure remplie d'argent et, au bout d'un an, vous n'aurez absolument aucune bonne surprise).



Cette valeur ajoutée est constituée



- des salaires (individuels et socialisés)



- des investissements qui appartiennent aux propriétaires lucratifs alors qu'ils sont produits, comme nous le voyons, par le travail comme valeur ajoutée



- des dividendes reversées aux propriétaires lucratifs comme gabelle, ces propriétaires peuvent être des propriétaires directs, des actionnaires ou des créanciers.



(5.3)

VA = Salaires (ind. et socialisés) + Investissements + Dividendes



3. La totalité des valeurs ajoutées à l'échelle d'un pays constitue le PIB (ou PNB selon qu'on tienne compte du territoire ou des nationaux).



4. Les salaires sont constitués par les salaires socialisés et par les salaires individuels. Les salaires individuels figurent sur les fiches de paie. Ils sont néanmoins amputés par les TVA sur la consommation.



Les salaires socialisés sont constitués de



- la sécurité sociale attestée par la cotisation sociale



- les salaires des fonctionnaires attestés par les impôts.



5. Les salaires sociaux ne coûtent rien aux salaires individuels.



Cette notion est peut-être la plus délicate à comprendre dans la démonstration.



Nous avons plusieurs éléments de preuve: quand on rajoute une cotisation sociale ou que l'on l'augmente, l'augmentation se répercute par une augmentation du PIB, pas par une diminution de salaire individuel.



D'autre part, quand un salaire individuel est amputé de cotisation sociale (c'est le cas, à des degrés divers, de tous les 'contrats aidés', de tous les contrats 'jeunes' et autres monstruosités anti-sociales), on voit que le salaire individuel n'augmente pas (voire diminue).



6. Les salaires sociaux soutiennent les salaires individuels. Ceci est plus simple à comprendre, plus intuitif. Si les chômeurs ou les retraités perdent toute allocation, ils vont chercher un travail à tout prix - y compris au prix du salaire. Ces malheureux vont inéluctablement pousser les salaires de leurs collègues à la baisse.



7. Les salaires - individuels ou sociaux - sont dépensés quasiment intégralement (contrairement aux dividendes). Un salaire dépensé l'est en tant que valeurs ajoutée de certaines productions. Mettons que je dépense mon chômage, mon salaire fonctionnaire ou mon salaire ouvrier à acheter des machins, l'achat de ces machins crée une valeur ajoutée, permet de transformer une production en capital à des entreprises qui, du coup, peuvent tourner.



De ce fait, quand les salaires augmentent (et nous ne distinguons pas les salaires individuels et les salaires socialisés dans notre raisonnement), la valeur ajoutée au terme du processus de production augmente



(5.4)

M'>M avec C'>C



8. Quand on met ces éléments ensemble, on constate que le chômeur, le retraité ou le fonctionnaire créent le salaire socialisés qu'ils touchent ou, pour le dire autrement, s'ils cessaient de toucher leurs indemnités, elles iraient dans un premier temps aux dividendes. Comme les entreprises sont en concurrence entre elles, elles seraient finalement amenées à diminuer leur taux de bénéfice ce qui ramènerait les valeurs ajoutée à leur niveau de départ diminué des salaires sociaux.



Donc, les gens qui touchent les salaires sociaux les créent. Si on supprime ces salaires sociaux, on ampute le PIB d'autant sans que personne n'en profite.



Harribey a démontré que les impôts augmentaient les prix, la valeur ajoutée et le PIB. Tout se passe comme si toutes les entreprises en concurrence devaient intégrer leurs impôts en plus de leur prix et, comme ils le font tous, c'est sans effet sur les positions concurrentielles relatives mais l'augmentation de prix nourrit la valeur ajoutée au niveau global, le PIB. Comme la valeur ajoutée représente à peu près un cinquième du total des prix, l'augmentation des impôts ou des cotisations de trente pour cent, par exemple, fera augmenter les prix de six pour cent seulement dans un premier temps.



Friot montre que les cotisations sociales fonctionnent de la même façon : elles sont un ajout de valeur ajoutée et non une quelconque ponction.



Il y a mieux: comme les salaires se contractent, si l'on diminue les salaires sociaux, la demande diminue. Comme la demande diminue, la valeur ajoutée totale diminue, ce qui pousse à comprimer les salaires, comme les salaires sont diminués, la demande se contracte, etc.



C'est ce qu'on appelle une crise de surproduction.

Proposition 45
Les chômeurs et les retraités créent la valeur ajoutée correspondant à leur salaire.
Proposition 46
Pour augmenter la production de valeur économique de quelqu'un, il faut et il suffit d'en augmenter le salaire individuel ou socialisé.