En
tout état de cause, l'argent fonctionne comme un type d'information
un peu particulier. À l'instar de l'énergie, il fonctionne comme
une flux de propriétés qui circule entre des unités. Le mouvement
de l'argent détermine l'évolution des prix : l'ensemble des
salaires qui fonde les prix rend la vente de la marchandise
réalisable ou non par rapport à la demande, demande qui agrège
également les salaires. Le prix est une propriété discrète des
marchandises c'est-à-dire une propriété latente susceptible
d'exister, d'être incarnée par un prix … ou non. Ce prix est donc
affecté par les mouvements de l'information elle-même (salaires,
rente et prix).
Le
mouvement des prix détermine leur évolution. C'est dire que le prix
comme vecteur d'information, comme grandeur mathématique associée
affecte son contenant par son mouvement-même. C'est une grandeur
auto-référentielle. C'est pour tenter de sauver l'économie du
solipsisme1
que l'école monétariste entend arrimer la valeur de l'argent à une
valeur indiscutable. Cette démarche pour intellectuellement
compréhensible qu'elle soit – il s'agit de s'affranchir de
l'absurde, du caractère auto-référentiel de ce qui fait tourner
l'économie – échoue dans son projet. Ni l'or, ni l'argent métal,
ni le pétrole, ni un panier de monnaies internationales n'ont la
moindre objectivité économique, n'ont en soi
la
moindre valeur économique intrinsèque. Nous l'avons vu, la seule
chose qui fonde la valeur économique en soi,
ce sont les salaires sous toutes leurs formes.
L'argent équivalent au prix fonctionne donc de manière
auto-référentielle : l'économie est la valeur créée par les
salaires et les salaires sont réalisés dans la vente de production
de valeur économique – et la rente parasite ce processus. Si l'on
admet que l'information est une forme d'énergie, nous devons nous
poser la question du caractère thermodynamique de la circulation
auto-référentielle de l'argent par les prix et les salaires.
Un système fermé en thermodynamique nivelle son énergie locale
dans un tout indistinct. C'est l'image de l'aquarium dans lequel on
verse de l'encre. L'encre se répand dans l'eau et s'y mélange
jusqu'à former une eau légèrement colorée en passant par une très
belle phase de volutes nuageuses. Une fois l'eau colorée, il est
(statistiquement) impossible que les colorants se séparent de l'eau
à laquelle ils sont mélangés. De même, si vous plongez un glaçon
dans votre jus, le glaçon fond et le niveau moyen d'énergie entre
le glaçon froid et le jus tiède prendra une moyenne fraîche sans
que l'eau glacée et le jus tiède ne puissent se séparer. C'est le
principe de l'augmentation de la stabilité énergétique, de
l'indifférenciation des éléments constitutifs, c'est le principe
d'entropie.
Si l'argent fonctionne en système fermé, en tant que vecteur
d'information-énergie, il doit être soumis à l'augmentation de
l'entropie. Les échanges de prix-argent donnent de la valeur à
toute chose et toute chose se voit attribuer un prix indistinct.
Toute chose tend vers la même valeur et tout agent économique tend
à recevoir le même salaire quelle que soit son activité.
Cette
hypothèse d'école ne correspond pas à la réalité des prix et des
salaires, ce qui prouve que le système d'informations-prix ne
constitue pas un système fermé mais qu'il s'agit, au contraire,
d'un système ouvert. Un système ouvert est soumis à des apports
d'énergie (ou à des pertes d'énergie) avec l'extérieur, avec ce
qui est considéré comme extérieur à ce système ouvert. Ce sont
les apports (ou les pertes) d'énergie extérieure qui permettent le
maintien de la différentiation énergétique interne au système.
Ces apports d'énergie externes sont susceptibles de modifier l'état
d'équilibre du système par paliers brutaux, il s'agit de la
néguentropie.
Dans
le cas de l'information-prix, le travail
concret nourrit
le système de l'extérieur. Le travail concret peut aussi bien être
le fait de travailleurs en emploi que de travailleurs hors emploi
mais, en considérant le système salaire-travail en
emploi-information-prix comme un tout ouvert, il nous faut admettre
que c'est ce système, ce système de l'économie productive de
valeur économique qui est ouvert à ce qui lui est extérieur, à ce
qui n'est pas valorisé par la valeur économique. Ce système
d'information économie-prix dépend d'apports d'énergie,
d'information extérieur pour que les prix-informations ne sombrent
pas dans l'indistinct. Cet apport extérieur vital pour l'économie
est mis dans un rapport asymétrique avec l'extérieur. L'extérieur
amène l'énergie au système qui permet au système d'éviter la
bouillie de l'indistinction alors que le système n'amène pas
d'énergie à l'extérieur ou que, à tout le moins, l'équilibre
entre l'apport d'énergie extérieure au système économique et
l'apport d'énergie du système à l'extérieur se fasse au profit
(énergétique et informationnel, c'est-à-dire, en l'occurrence,
économique) du système économique.
Le caractère non indistinct des prix atteste la dépendance de la
valeur économique créée par les salaires aux éléments qui lui
sont extérieurs. Il prouve la néguentropie du fonctionnement de
l'argent-information-énergie. Les stases sont des états
métastables. Les éléments extérieurs qui amènent de l'énergie
au système ouvert sont de plusieurs ordres, il s'agit
-
du
travail concret,
comme nous l'avons dit. Il peut être presté dans l'emploi –
l'emploi dévore alors la force de vie, de travail du travailleur
pour maintenir l'équilibre du système de prix – ou hors emploi –
la valeur économique phagocyte alors la valeur réelle créée en
dehors d'elle par le travail concret, telle le travail domestique,
les aidants agricoles non valorisés, l'esclavagisme, pour maintenir
la possibilité de la hiérarchie, de la distinction des prix2.
C'est de première importance si l'on considère les conséquences
philosophique de la chose : ce ne sont pas les femmes au foyer,
les enfants, les malades, les retraités ou les chômeurs qui coûtent
à
l'économie, c'est leur travail concret qui permet
à
l'économie productive de valeur de subsister. Les salaires créent
la valeur ajoutée mais la valeur ajoutée est gagée sur le travail
concret extérieur au salaire : ce n'est pas l'employé qui
permet à son épouse effacée de survivre, c'est la prestation de
services de l'épouse effacée qui permet à l'employé de toucher
son salaire. Sans cette épouse, si aucun des employés n'avait
d'épouse, le processus de création de valeur économique serait
impossible. L'épouse en question
est
affectée au sens propre, comme forme de vie visible, comme point de
vue, comme élément structurant la narration du monde.
-
des
ressources naturelles.
Au premier rang des ressources naturelles, il y a le temps, la force
humaines. Ces ressources sont consommées
par
le système économique, elles sont assimilées pour maintenir ce sur
quoi sont gagés les prix et les salaires. Mais il y a aussi les
ressources minières, pétrolières qu'épuise le système économique
sans que le système économique ne lui donne rien en retour. Cette
dépendance de l'économique à l'extérieur est intrinsèque au
système-économie mais elle peut être concentrée sur des sources
d'énergie (au sens de notre métaphore entropique) renouvelables
telles la production agricole en permaculture ou la production
écologique, la production d'énergie éolienne, géothermique ou
solaire. Le système-économie prendra toujours des ressources
naturelles, il dépendra toujours d'un apport énergétique extérieur
– que ce soit la force humaine, la force animale, les moulins à
vent ou les centrales nucléaires ne change rien à nos propos.
Proposition
41
L'économie
comme mode d'organisation de la production humaine par le
truchement du travail abstrait fonctionne comme un système
thermodynamique ouvert. Elle tire son énergie de l'extérieur, du
travail humain concret et des ressources naturelles.
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Forts
de ces quelques considérations, nous pouvons réfléchir à
l'économie réelle, à l'organisation du travail humain et à la
gestion des ressources humaines de manière sereine. Une économie de
la production de valeur qui serait efficace devrait respecter ses
sources extérieures d'énergie faute de devoir s'en passer à terme
et de disparaître dans l'indistinct. Ces sources incluent la terre,
les minéraux, le temps, le psychisme, le désir
et
la force humaines. C'est précisément ce que la pensée de
l'économie du travail réel doit mettre au centre de ses
préoccupations.
Le système-économie ouvert s'inscrit également dans d'autres
enjeux. Comme nous l'avons dit, un système ouvert, face à un apport
d'énergie de l'extérieur, est susceptible à un moment donné de
changer brutalement de nature, de niveau d'énergie. Il s'agit alors
d'un système métastable confronté à la loi de la néguentropie.
Prenons
de l'eau pure. La température descend en dessous de zéro et, à un
moment donné la glace prend, l'eau gèle. L'état de l'eau alors que
la température est négative et que le gel n'a pas encore trouvé la
petite impureté pour la cristalliser est dit métastable. À ce
moment-là, l'eau est susceptible de devenir glace du fait de
l'énergie extérieure mais le gel n'a pas encore trouvé d'impureté
comme catalyseur. La métastabilité de l'économie comme système
d'information, de circulation d'argent, peut s'appréhender à l'aune
de ses crises et de ses mutations technologiques, sociales ou
industrielles. Ce système est en état d'équilibre précaire
permanent, la révolution permanente de l'économie induit une
angoisse face à son caractère imprédictible. Les travailleurs
doivent sans arrêt adapter leur qualification, leur travail concret
aux spasmes de l'économie de la valeur ajoutée, ces spasmes sont
liés aux pratiques concurrentielles et les pratiques
concurrentielles sont modifiées de manière brutale parce que
l'accaparement des ressources humaines et naturelles permet
au
système-économie d'accumuler une énergie qui le fait passer à un
autre stade de production et d'accumulation. Le travail réel est
vampirisé par la logique économique et, ce faisant, la logique
économique évolue en état métastable, en révolution permanente.
Les effets anxiogènes des nouveaux types de management, de la
modification de l'environnement productif et de l'encadrement, de la
modification permanente du travail concret se montrent souvent
contre-productifs. Qu'importe, l'énergie extérieure accumulée
impose le changement de modèle de production, elle modifie également
la consommation selon le rythme effréné de l'obsolescence et de la
mode. Le bien et le service sont transitoires parce que l'énergie
nécessaire à la production du bien et du service suivants y
sont
déjà accumulés.
La
fonction parasite de l'économie de valeur ajoutée sur le travail
réel en sape les fondements et, ce faisant, saborde ses propres
bases. Ce phénomène de production économique est parasité par la
production de rente et le phénomène comme un tout parasite lui-même
le travail réel, le travail hors emploi, et les ressources
naturelles en le détruisant. La destruction périodique de capital
accumulé dans les crises de surproduction, la destruction de ce que
nous avons appelé le ε.
Ce capital accumulé est pris (est prix) sur le travail vivant et
doit être détruit. Dans ces spasmes économiques, le fondement de
l'accumulation, le travail réel, est lui-même entravé et saboté
par son parasite.
La brutalité des phénomènes
de destruction de l'accumulation du capital met en cause l'économie
en tendance longue – nous l'avons vu. À toutes autres choses
égales, l'enjeu est de diminuer le parasitisme de l'économie du
travail concret envers l'économie du travail abstrait. Pour éviter
le parasitage du travail concret par le travail abstrait, il faut
protéger le travail abstrait de ce vampirisme. Pour ce faire, il
convient de
-
autonomiser le travail concret en l'extrayant de l'aiguillon de la
nécessité, il faut que le
salaire soit lié au statut du travailleur et non au poste ou à la
force de travail
-
supprimer le ε, la notion d'accumulation par la rente – et la
notion de propriété lucrative – parce qu'elle pompe l'énergie
extérieure au système économique, parce qu'elle pompe l'énergie
du travail concret.
Proposition
42
L'énergie
extérieure accumulée dans le système-économie aboutit à des
changements d'état d'équilibre brutaux, des destructions
brutales de valeur économique lors de crises ou de guerres.
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