Les avoirs immobiliers peuvent fluctuer en valeur en fonction des
crises ou du contexte économique. De la même façon, les avoirs
mobiliers – les créances, les titres, les assurances, les produits
dérivés ou les actions – peuvent changer de valeur en fonction de
la conjoncture économique.
La politique de la dette peut favoriser les détenteurs de biens
mobiliers, la valeur des créances, des titres et de l'argent ou,
inversement, elle peut favoriser le dynamisme économique au
détriment de la valeur de l'argent.
On ne confondra pas l'argent et le capital. L'argent est ce qui
atteste le capital, il en est la contre-partie, l'expression. Le
capital prend d'autres formes que l'argent, il peut s'incarner en
marchandises, en outils de production, en patentes ou en biens
mobiliers et immobiliers. L'argent est une forme transitoire du
capital mais le capital peut prendre d'autres formes.
La politique de la dette peut favoriser les détenteurs de capital
mobiliers, la valeur des créances, des titres ou de l'argent ou,
inversement, elle peut favoriser le dynamisme économique au
détriment de la valeur du capital ou de l'argent. Les politiques
ordo-libérales européennes, inspirées par le traumatisme mal
compris de l'inflation outre-Rhin, sont rivées sur des indices comme
le NAIRU, le taux optimal de chômage qui évite l'inflation. Ces
politiques s'inscrivent dans une option monétariste alors que des
politiques économiques inspirées de Keynes recommandent
d'euthanasier les rentiers, de diminuer la valeur de l'argent pour
favoriser la valeur de l'activité économique.
L'avantage du keynésianisme, c'est qu'il diminue l'accumulation
capitaliste, l'inconvénient, c'est qu'il ne résout pas la baisse
tendancielle du taux de profit. Il ne résout pas les contradictions
du capitalisme mais il permet de tenir des cycles longs de
croissance. Par contre, l'ordo-libéralisme augmente l'accumulation
capitalistique et, avec elle, la paralysie de l'économie. L'avantage
de l'ordo-libéralisme – dans la mesure où on peut parler
d'avantage s'agissant d'une politique économique qui plonge dans la
misère des millions de personnes – c'est qu'il rend les
contradictions capitalistiques insurmontables et force à penser le
cadre.
Note 21. Le syndrome de Stockholm chez les endettés
Notes
de lecture – Michael Hudson, The Stockholm syndrom in the
Baltics, in The Contradictions of the austerity11.
Nous
traduisons et résumons un article de Michael Hudson. Si
nous ne partageons pas nécessairement le point de vue économique
plutôt social-démocrate de l'auteur, nous devons admettre qu'il
apporte par la rigueur de sa synthèse une belle pierre à l'édifice
de notre raisonnement. Nous reprenons donc son article comme partie
rapportée de notre propre raisonnement.
Il
s'agit d'illustrer les politiques de rentiers à l’œuvre en Europe
par un exemple extrême. Dans le choc post-soviétique, les électeurs
étaient prêts à suivre les libéraux les moins communistes qui
soit. Depuis 20 ans, on les distrait des enjeux économiques, des
effets des politiques d'austérité, avec des problèmes ethniques -
notamment autour de la minorité russe.
La
Lettonie, petite république balte, a souffert de la contraction
économique la plus importante suite à la crise financière de 2008.
Les prêts inconsidérés des banques suédoises ont nourri une bulle
immobilière. Cette bulle aurait dû exploser comme toutes les
bulles. Par ailleurs, la dette publique lettone était libellée en
euros, ce qui a posé les mêmes problèmes que ceux des économies
du sud qui étaient endettés en dollars forts.
La
Lettonie a sacrifié les intérêts économiques nationaux à ses
créanciers. Elle a mené sans interruption une politique de diète
néo-libérale depuis son indépendance en 1991. En 2008, face à la
crise financière, elle a persisté dans l'austérité pour le
travail et les sauvetages pour les banques. Pour restaurer la
confiance de la Swedish Bank, la Lettonie a détruit l'emploi, le
gouvernement, les salaires et les prestations du secteur public.
Le
néologisme technocratique appelle cette politique d'austérité
salariale la 'dévaluation interne' chère au consensus de
Washington. En totale opposition aux intérêts nationaux, il s'est
agi de privatiser les entreprises au profit d'une caste kleptocrate,
d'ouvrir le pays aux marchandises occidentales. Il s'est agi de
sabrer les dépenses publiques, de réduire les salaires afin de
permettre aux créanciers étrangers d'acheter les propriétés les
plus riches (les terres, les ressources naturelles et les
infrastructures monopolistiques privatisées) et de payer les dettes
en renforçant la dépendance aux secteurs financiers des nations
industrielles.
Après
2008, les coupes dans les dépenses gouvernementales ont augmenté le
chômage et diminué les salaires de la fonction publique de 30%, ce
qui a diminué les importations alors que les exportations passaient
de 42% du PIB en 2008 à 60% du PIB en 2012 alors que le déficit
commercial passait de 26% du PIB à 2% et que la dette extérieure
passait de 57% du PIB à 38%.
Après
l'éclatement de la bulle immobilière et la crise de la
construction, l'amortissement de la crise hypothécaire s'est fait
sur le dos des dépenses sociales lettones. L'émigration accélérait
alors que le chômage atteignait plus de 21% de la population en
janvier 2010. Malgré l'augmentation de 6% du PIB en 2011-2012, le
chômage dépasse encore les 10% et le PIB n'a pas retrouvé le
niveau d'avant la crise. L'austérité a donc appauvri l'économie
lettone mais a sauvé les banques étrangères.
La
Lettonie demeure l'un des pays les plus pauvres, les plus dépendants
d'Europe au terme de ces six années d'austérité. La Lettonie a
sciemment entretenu un chômage élevé pour faire baisser les
salaires, son économie en a été détruite et les inégalités ont
explosé.
La
démographie a marqué le pas. Les mariages et les naissances ont
diminué suite à la crise. Quelques 14% de la population active,
surtout de jeunes adultes, ont émigré ces dernières années en
laissant une population âgée sur place.
L'éducation
et la santé ont été sacrifiées par les budgets d'austérité, ce
qui a accentué le problème démographique. Pour retourner la
situation, il faudra a minima reconnaître que les salaires sont trop
bas et que le chômage est trop élevé.
Trois
choix se présentent:
-
l'austérité salariale : la diminution des salaires pour
conserver la valeur de l'argent et les rendements du capital.
-
la dépréciation monétaire: impossible avec une dette à 90%
libellée en monnaies étrangères. Elle aurait augmenté le prix des
marchandises importées. Cela aurait fonctionné si la Lettonie avait
d'abord converti sa dette en monnaie nationale.
-
la détaxation du travail: la propriété est très faiblement taxée
en Lettonie (moins de 1%). La Lettonie pratique la flat tax, la taxe
à taux fixe, quel que soit le revenu, sur les salaires alors que le
capital est taxé à 10%. Cette taxation très favorable à la rente
a gonflé la bulle. Cette bulle a stimulé le secteur de la
construction, ce qui a augmenté les salaires mais les politiques
d'austérité ont mis un frein à ces augmentations. L'alternative
aurait été de porter les fortes taxes lettones sur la propriété
plutôt que sur les salaires. Cette option libérale classique aurait
eu les faveurs des physiocrates, d'Adam Smith ou de John Stuart Mill
qui recommandaient d'éviter les taxes sur le salaire. Cette option a
également prévalu pendant l'ère réformatrice aux États-Unis ou
pendant un siècle en Europe quand ces pays investissaient dans les
infrastructures publiques, quand ils fournissaient des services de
base à prix coûtant et réduisaient les coûts économiques. Mais,
pendant les années 1980, les Chicago boys après avoir accompagné
Pinochet ont combattu pour les intérêts des rentiers et des
banquiers, pressant de privatiser les monopoles publics. L'impôt
progressif a été remplacé par la flat tax qui pèse sur l'emploi
et non sur la propriété. Les taxes sur la propriété immobilière
ont été supprimées et le fardeau fiscal a été transféré sur
les consommateurs et les travailleurs. Ceci a redistribué la
richesse vers le haut. La question est de savoir pourquoi la Lettonie
n'a pas suivi une politique classique de taxation de la propriété
mais une politique néo-libérale favorable aux propriétaires.
En
1991, la Lettonie n'avait aucune dette, ni privée, ni publique. En
vingt ans, les dettes ont explosé sans moderniser l'agriculture ou
l'industrie mais en augmentant la valeur des biens immobiliers. Les
républiques soviétiques avait recours au crédit d'État et
n'avaient aucune expérience du crédit privé. La Lettonie et ses
voisins baltiques se sont mis sous la coupe des banques scandinaves.
Au lieu de créer un système bancaire domestique public ou privé
pour prêter en devise nationale, les Lettons ont emprunté à
l'étranger en monnaie étrangère pour avoir des taux d'intérêt
moindres. Ceci a créé une dépendance envers l'étranger. Les
Lettons étaient payés en lat et devaient rembourser leurs emprunts
en euros. Si l'équilibre commercial letton venait à faiblir, le
taux de change montait et augmentait le coût du crédit. Un principe
de bonne politique pour éviter ce problème est d'avoir des dettes
exclusivement en monnaie nationale.
Un
second principe de bonne politique de crédit est d'allouer les
crédits à des secteurs productifs alors que, en l'occurrence, seul
le secteur immobilier improductif a bénéficié de ces crédits.
Le
fait que le traité de Lisbonne interdise le recours à la
monétisation, au financement de l'État par création monétaire
empêche toute politique contra-cyclique de relance, de dépenses
publiques pour favoriser l'emploi, les investissements ou les
infrastructures.
La
Lettonie est passé de liens pesant avec la Russie à une situation
de protectorat européen. Mais, en Pologne, 60% des hypothèques
étaient libellées en francs suisses. Le zloty a perdu la moitié de
sa valeur face à cette monnaie. La Hongrie, les Balkans et l'Ukraine
ont tous souffert de variante de cette histoire. Les banques
européennes sont responsables de cette folie comme prêteuses et
comme emprunteuses - toute les dettes de l'Europe de l'Est sont
détenues par des banques autrichiennes, suédoises, grecques,
italiennes et belges.
Ce
n'est que maintenant que l'on commence à réagir dans les économies
dévastées d'Europe centrale et des PIIGS (Portugal, Italie,
Irlande, Grèce, Espagne - [en acronyme anglais]). Le premier
ministre slovaque s'est opposé à des nouvelles coupes dans le
budget public parce qu'elles aggraveraient le chômage. Il a "appelé
à en finir avec les politiques d'austérité 'complètement
contre-productives' et à donner la priorité à la croissance
économique." Il a affirmé être à la tête de chefs de
gouvernement opposés à l'austérité. "Nous avions un
gouvernement conservateur en Slovaquie de 2010 à 2012. Ils avaient
une flat tax, ils avaient un code du travail néo-libéral et le taux
de chômage augmentait et la croissance économique diminuait".
Il
faudrait à tout le moins tracer une ligne pour dire qu'un
appauvrissement de la population active qui la force à quitter le
pays n'est pas une guérison.
La
politique néo-libérale prétend qu'il n'y a pas d'alternative au
fait de payer ses dettes en imputant tous les coûts du crédit aux
endettés. Les lettons ont été distraits de l'austérité par
l'existence de grandes minorités russes et du ressentiment de
décennies d'occupation soviétique. La majorité lettone a accepté
le TINA (il n'y a pas d'alternative) thatchérien aussi longtemps que
toutes les alternatives ont pu être liées à la Russie dans
l'opinion publique.
De
telles capacités à déplacer les enjeux électoraux non-économiques
existent dans le sud de l'Europe ou en Irlande, ce glissement
ethnique n'a pas pu être transplanté en Grèce ou dans d'autres
pays, à l'exception des tentatives de l'extrême droite de
stigmatiser les immigrants. Les électeurs grecs et italiens ont
rejeté les politiques d'austérité imposées quand les banques
européennes et les détenteurs de bon du trésor ont envoyé des
"technocrates" pour agir comme des proconsuls.
Les
électeurs baltes n'accepteront les politiques d'austérité que tant
que l'attention politique électorale sera détournée de
l'économique.
L'expérience
lettone met en avant les coûts financiers évacués par la doctrine
néo-libérale [NDT : nous reprenons les termes de l'article
original, ce ne sont pas les nôtres]:
-
les intérêts hypothécaires augmentent les prix des logements
-
la déflation des dettes accapare les salaires, les profits et les
impôts gouvernementaux pour payer les créanciers. Cet accaparement
diminue les dépenses de biens et de services dans l'économie
"réelle".
Le
coût du secteur financier est tout simplement ignoré. L'économie
du XXIe siècle a transformé le caractère de la compétition
internationale. Jusqu'au XIXe siècle, la nourriture était la budget
principal des travailleurs et elle était essentielle dans la
valorisation du travail. La clé de la compétition internationale,
c'était la technologie: réduction des prix de production par
l'innovation et, notamment, remplacement de la force de travail par
d'autres produits qui réduisaient la valorisation du travail. La
force motrice de l'économie, c'était la consommation et la
production. Mais, de manière constante ces deux derniers siècles,
les prix ont intégré de plus en plus d'intérêts et autres charges
financières. La clé de la compétition internationale, c'est
l'organisation du système financier et le caractère institutionnel
de sa politique fiscale et, dans le cas de monopoles
d'infrastructures, l'investissement public et la régulation des
prix.
A
minima, il faudrait déplacer la charge fiscale du travail vers
la propriété pour rendre le travail plus attractif dans ce pays en
proie à l'émigration et la dénatalité.
La
doxa monétariste européenne inscrite dans le traité de Lisbonne
est un dévoiement de la théorie libérale classique, c'est la voie
de la dépendance financière, de la dépendance commerciale, de
l'asservissement par la dette. C'est un cas classique du syndrome de
Stockholm envers les banquiers-preneurs d'otages, pas une voie
d'indépendance.
Ce
petit point explique d'ailleurs pourquoi les politiques dites
d'austérité, les politiques monétaristes, favorables aux rentiers
et aux spéculateurs ne peuvent pas fonctionner : en sapant les
bases économiques, la production de valeur ajoutée par les
salaires, l'austérité protège les
actionnaires
et les propriétaires immobiliers, met la machine économique sous la
coupe d'une destruction brutale de valeur accumulée. Au final,
plus
personne ne peut se chauffer, nettoyer, ranger ou entretenir des
propriétés immobilières devenues impayables. Juste après les
misérables que leur système économique crée, les riches
finissent
eux aussi par mourir de faim, faute de soins, dans une ignorance
totale des choses du monde et d'eux-mêmes ; ils meurent sur
leur tas d'or, dans leur palais sans comprendre la nature-même de
leur mort.
Proposition
33
L'accumulation
permet des profits considérables mais condamne à terme la
civilisation – riches et pauvres inclus.
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