Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Critique du Capital au 21e siècle


Résumé des développements mathématiques du chapitre

Dans son livre Piketty examine le rapport entre valeur patrimoniale et production de valeur économique. Nous mettons en cause cette grille de lecture – en dépit de la qualité du travail d'enquête de l'économiste français et de son équipe – parce que la valeur du stock de valeur patrimoniale est sujette à caution : elle est auto-référentielle et peut s'effondrer à la faveur de la première crise venue. Par contre, nous suivons Piketty dans la notion d'accumulation relative puisque la partie de la valeur économique produite qui est accumulée sous forme de rente n'est pas réalisée, n'est pas dépensée de la même manière que la partie de la valeur consacrée aux salaires.

L'importance relative des salaires et de la rente est déterminante pour évaluer son impact en terme d'inflation salariale et d'effondrement. Plus la partie consacrée à la rente est élevée, plus le système est en crise permanente et est sujet à l'inflation salariale ; à l'inverse, si l'on attribue la valeur ajoutée aux salaires, la production de valeur économique est durable et n'est pas sujette à l'inflation salariale.
Nous avons désigné l'accumulation au moyen de la lettre grecque epsilon.


Arrivés à ce stade, armés de la conviction que seuls les salaires créent la valeur économique, que la valeur économique est autre chose que la valeur d'usage créée par la travail concret, nous pouvons aborder une lecture critique de Picketty. Dans son livre à succès Le capital au 21e siècle l'économiste français développe la notion de σ9, de rapport entre le capital patrimonial et la production de valeur ajoutée par unité de temps. Ce σ n'a de sens que dans un cadre de temps prédéfini – par exemple, l'année pour prendre l'unité de mesure temporelle du PIB. L'arbitraire de la mesure temporelle n'est pas très important dans la mesure où la comparaison des tendances longues se fait sur les mêmes bases temporelles. Le rapport σ isolé ne veut rien dire mais l'évolution de ce rapport dans le temps, en fonction de l'évolution de la conjoncture économique est, elle, très significative. C'est bien le sens de la démarche adoptée par Piketty. Par contre, ce σ rapporte un stock (le patrimoine) à un flux (la production de valeur ajoutée annuelle), ce qui peut poser quelques problèmes. La valeur du stock se construit par accumulation – ce que nous avons défini en


(4.6) comme






Nous avons déterminé que ce patrimoine n'avait de valeur que dans la mesure où il pouvait être gagé sur le travail abstrait lié à un travail concret, que dans la mesure où cet argent, ce capital, ces avoirs de toute nature pouvaient servir à acquérir des biens et des services produits par un travail concret et rémunérés à hauteur du travail abstrait, des salaires qu'il concentre. Cette accumulation définit, comme nous l'avons vu, une fonction exponentielle avec le temps. Nous sommes arrivés à un stade où le σ vaut plusieurs dizaines de fois la valeur économique créée annuellement par le travail abstrait. Pour le dire autrement, si les propriétaires de capitaux sous quelque forme que ce soit se fatiguaient de leurs titres de propriété et voulaient s'offrir des biens et des services, s'ils voulaient réaliser leur capital, il faudrait, pour ce faire, mobiliser l'intégralité de la machine économique pendant des dizaines d'années. On imagine facilement que ce cas d'école – qui s'est déjà produit à une échelle locale – générerait une inflation monstrueuse ou un boom économique s'il était étendu dans le temps.



La valeur attribuée au patrimoine est effective au niveau de l'individu, de l'acteur individuel mais en termes macro-économiques, elle n'a pas de sens. Si tous les propriétaires immobiliers français vendaient leur bien en même temps, le prix du mètre carré à Montmartre s'effondrerait et ce σ s'effondrerait avec lui. C'est dire que la valeur du patrimoine n'existe que dans la mesure où elle ne se réalise pas massivement, elle n'existe que dans la mesure où les acteurs qui la réalisent demeurent minoritaires, isolés et que cette réalisation partielle peut être gagée sur une production abstraite et concrète. À partir du moment où l'accumulation elle-même détruit l'outil économique, la valeur patrimoniale ne permet plus d'acquérir des biens et des services – ils ne sont plus produits – et devient absurde.



Par contre, il est intéressant d'examiner l'évolution de l'accumulation, l'évolution du patrimoine dans le temps. Si le patrimoine s'accumule de manière exponentielle, comme la production réelle sur laquelle la valeur patrimoniale est gagée n'augmente pas de cette façon – au mieux, elle augmente de manière linéaire – il y a un moment où le patrimoine est destiné à disparaître en tant que valeur économique.



Définissons donc la fonction σ du patrimoine et examinons sa dérivée dans le temps en fonction de la fonction d'accumulation que nous avons défini plus haut :



(4.7)




si cette fonction est exponentielle à un moment donné, sa dérivée – la dérivée seconde de σ10 – sera strictement positive à ce moment, si est linéaire, la dérivée sera nulle et, si est de type logarithmique, la dérivée seconde sera négative.



Nous sommes passés cependant de la fonction σ à la fonction ε en la multipliant par le facteur k. Ce facteur k correspond au rapport entre le stock de capital à un moment donné et le flux sur l'unité de temps considérée. Les dérivées dans le temps de ces fonctions sont semblables, elles ont la même allure mais il y a une différence fondamentale entre les deux (et c'est pourquoi nous nous en tiendrons à notre fonction ε) : l'ε est liée au flux de valeur économique alors que le σ est lui lié au stock de valeur économique. Le facteur k lui-même est sujet à variation en fonction des cycles économiques, de la vitesse de réalisation du patrimoine accumulé mais, dans la mesure où on considère un laps de temps court, sans variation significative de la vitesse de réalisation du patrimoine, ce facteur peut être considéré comme une constante.



Nous avons défini ε, la fonction d'accumulation, comme la différence entre la valeur ajoutée et la réalisation de (2.8) VA= ρ+ε, il vient que ε=VA-ρ. Nous avons vu que cette valeur ε était d'autant moins élevée que la proportion des salaires était importante dans la valeur ajoutée, nous avons vu que la productivité de l'économie en tant que production de valeur économique était d'autant plus élevée que la valeur de la fonction d'accumulation était basse, c'est-à-dire que la part des salaires – et, notamment, des bas salaires – était importante dans le PIB.



Mais nous avons veillé à convertir l'épargne comparée au stock patrimonial en épargne comparée au flux de production de valeur. Le soin que nous avons mis à cette conversion s'explique aisément. Comme le patrimoine n'est réalisable que parce qu'il n'est pas réalisé comme nous l'avons dit plus haut, il ne nous a pas semblé pertinent de l'intégrer comme élément de réflexion. Par contre, comparer un flux de valeur économique – lié de manière indirecte, comme nous le verrons plus loin, au flux de valeur d'usage, à la production concrète de biens et de services – à une épargne nous a semblé plus pertinent. De ce fait, l'épargne est rapportée au flux de production de valeur et non au stock. L'épargne étant gagée in fine sur la production de biens et de services concrets, il fallait qu'elle fût lié à ce qui était lié par ailleurs à cette production de biens et de service. En examinant le rapport entre un flux de production de valeur d’échange et une accumulation de valeur d’échange, c’est-à-dire un flux aussi, nous nous détachons de l'embarrassant solipsisme de la valeur patrimoniale et sommes sûrs de comparer des choses comparables. Nous ne comparons donc plus un flux et un stock mais un flux et un autre flux.



En effet, que les châteaux de la Loire doublent de valeur ou qu'ils perdent la moitié de leur valeur comptable, que le Palais impérial au Japon double de valeur ou qu'il perde la moitié de sa valeur comptable ne modifie en rien en soi le comportement de l'épargne, de l'accumulation, des salaires dans le PIB ou de la durabilité de l'économie. En considérant la valeur capitalistique, comptable des biens et des services, on fait trop grand cas de l'effet économique de la spéculation. La spéculation a de l'effet en tant qu'épargne, en tant que capital qui se rémunère par une ponction contre-productive sur la valeur ajoutée mais, en soi, elle ne modifie pas le fonctionnement de l'économie. L'exemple des palais et des châteaux n'est pas tout à fait innocent : il s'agit typiquement de biens qui ne seront jamais vendus. Et, s'ils devaient l'être un jour, nous aurions vraisemblablement changé de régime politique et économique.



L'aspect virtuel – et économiquement peu pertinent, si ce n'est du point de vue du parasitisme – de la valeur économique patrimoniale éclaire d'un jour nouveau la question de la destruction cyclique de valeur économique pendant les crises économiques. Les châteaux ne disparaissent pas, ni les yachts, ni les montagnes : ce qui disparaît pendant les crises, c'est la valorisation économique de ces choses. Il n'y a plus de demande, les salaires sont anémiés, l'outil industriel tourne au ralenti, le chômage s'étend – la valeur de quartiers entiers, d'usines disparaît avec la surproduction.