Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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La culture

La notion de culture a plusieurs acceptions. Soit on considère la grande culture, celle qui impressionne, marque son époque par des œuvres célèbres ; soit on considère le mot dans son sens germanique de mode de vie, de valeur et d'us liés à une identité, à des traditions.

Dans la première acception, la culture sert d'immense réservoir à valeur économique déconnectée du travail concret. Nous avons vu que l'argent ne pouvait avoir de valeur que si le travail concret venait créer un travail abstrait et une valeur économique. Si plus personne ne preste de travaille concret, l'argent ne renvoie plus à rien qui ait une valeur concrète. L'idéal de la propriété lucrative, c'est de détacher la propriété de cette contingence, de ce lien avec le travail abstrait et les travailleurs. L'idéal du propriétaire, c'est une valeur économique sans travail abstrait ou concret dans cette ambition théorique de décrochage de la valeur économique et du travail concret, il y a eu successivement les physiocrates qui pensaient que c'était la terre et non les travailleurs qui créait la valeur économique, les libéraux qui attribuaient ce rôle au commerce, certains post-modernes à l'information. L'utopie de la valeur économique sans travail concret est réalisée dans la cote de l’œuvre, chose pour ainsi dire sans travail concret, sans investissement, dotée d'une valeur économique. L'achat d’œuvres est un investissement spéculatif, c'est l'espoir de pouvoir revendre une chose au moins à hauteur de son prix d'achat plus tard – quand bien même l’œuvre tient de l'attrape-nigaud pour naïfs : cela n'a pas d'importance, ce qui compte, c'est l'évolution escomptée de la cote. C'est pour cela qu'on peut trouver des brosses à récurer grossièrement peintes qui valent des fortunes : la cote de l'artiste est élevée et, mieux encore, il y a des raisons de penser que cette cote va augmenter. L'art se fait achat, investissement, la création se fait bavardage et explications verbeuses plus ou moins inspirées dans une indifférence mondaine légèrement cynique très fin de siècle. Cette forme de création n'a plus grand-chose à raconter, à dire, elle ne parle pas d'un sensible mais de concepts et, à l'instar de la valeur économique abstraite qu'elle entend incarner, elle ne repose sur rien de tangible. Le signifiant de l'art est détaché de tout signifié, c'est un signe pur, sans rien à dire d'autre que sa valeur économique. Il s'agit alors d'un signifiant sans signifié fors sa valeur économique (et son bavardage savant). La logique de la création, angoissée, douloureuse, solitaire et exigeante s'opposait en tout au capital mais, comme elle est déconnectée du travail concret, elle a pu être récupérée, assimilée par la logique capitaliste. La culture vénale naturalise de façon pernicieuse la valeur économique en la déconnectant – en apparence seulement puisque l'art ne fonctionne que comme réservoir à valeur – du travail humain.

Dans son sens germanique, la culture peut aussi se comprendre comme ensemble de mœurs et d'ethos particulier à une ethnie, à une classe sociale, à une tribu. Cette acception heurte de front la logique sans qualité de l'accumulation capitaliste. Les façons locales de manger, de travailler, de prier sont autant d'obstacles a priori à la circulation, à la concurrence « libre et non faussée » des marchandises porteuses de la valeur économique parasitée par le capital. Pour autant, les différences culturelles en tant que freins au libre commerce permettent à des puissances économiques régionales d'émerger, cela ralentit les ardeurs de leurs voisins (et compétiteurs) en butte avec leur ε. L'émergence de puissances économiques à travers le monde par le biais de ce que nous serions tentés d'appeler du protectionnisme culturel, participe du dynamisme de la croissance de l'économie capitaliste.



Au passage, les cultures traditionnelles liée à d'autres modes de production perdent leur sens et conservent leurs codes. Là aussi, dans l'acculturation globale, dans l'uniformisation des modes de production couplée à une culture coupée de ses référents économiques traditionnels, on assiste à l'émergence d'un signifiant sans signifié. Ce que le christianisme désigne par le pharisaïsme devient la norme : on garde la forme, le code culturel, la respectabilité mais en supprimant le lien avec un mode de production économique, avec un mode vie pré-capitaliste. C'est à ce prix que les cultures, a priori opposées au capital, en sont devenues l'un des moteurs subcontraires. Les religions traditionnelles ne dérangent pas les affaires à condition que – et c'est là qu'elles perdent le sens de ce qui les a construitesqu'elles admettent les institutions capitalistes, la propriété lucrative (assimilable à de l'usure et à de la simonie, à du commerce de temps, propriété de Dieu), le temps comme référent de la valeur économique, le marché de l'emploi (exploitation de l'Homme par l'Homme) mais aussi l'aiguillon de la nécessité (vol de quelqu'un parce qu'il est pauvre), l'accumulation (les intérêts étaient interdits par la plupart des religions), la fraude à l'impôt ou l'appropriation de ressources communes (au rebours des devoirs de charité). En amont, les signifiants des religions demeurent au moment où leur mode de vie intrinsèque, où leur congruence culturelle, leurs signifiés sont détrônés sans ménagement par le lucre, l'industrialisation des affects et la prolétarisation des actes capitalistes. De la même façon que le nazisme mettait en scène la grandeur de l'État et organisait son totalitarisme en signe de la crise de l'autorité, les religions actuelles deviennent des scénographies de la foi et de sa congruence culturelle à l'heure où la liberté religieuse se vide de son sens à l'usine, au bureau, dans les malls. Les religions sont devenues des images émouvantes, des signifiants sans racine alors que s'impose l'unique religion du veau d'or.


Proposition 190
La culture comme cote d'artiste répond au fantasme de la valeur économique sans travail concret.
Proposition 191
Les cultures traditionnelles peuvent survivre au capital si elles en admettent les codes mais cela les transforme en ensemble de signifiants sans signifiés, en folklore ou en monstrueuse farce.
Proposition 192
Le capitalisme devient l'unique religion derrière les folklores locaux.
Proposition 193
La religion du capital est amorale ; elle considère le lucre comme la fin de toute chose.

Mais, de la même façon que, au moment où le nazisme s'imposait sur les décombres du sens moral, de petits groupes redécouvraient l'éthique dans les maquis les plus improbables, le sens religieux – et nous entendons par là la mystique, le rapport personnel, singulier aux mystères, rapport très éloigné parfois des religions reconnues – se faire un chemin dans les cœurs étrangers à l'anomie morale contemporaine.



Le capital est par essence immoral. Si quelque culture, si quelque religion en admettent le fonctionnement, elles renoncent à toute autorité morale ce qui les met à échéance plus ou moins longue en crise profonde – mais les affaires continuent pendant ce temps, les télévangélistes, les prêcheurs libéraux se multiplient et appellent à la réussite financière, économique. Ils justifient le gain et la pauvreté, le pillage et l'avidité en sapant le sacré sur lequel ils se fondent en l'invoquant. Religieux sans sens religieux, moralistes immoraux et prêcheurs bègues, en tuant l'espoir et les aspirations de leurs ouailles, ils les rendent orphelins de mondes divins, ils les font adorer le veau d'or dans des homélies impies. On peut voir des islamistes en Ray-Ban, on peut voir des intégristes boursicoter alors que l'islam recommande la modestie de l'apparence ou que le christianisme interdit l'usure. La religion comme spectacle – nous ne parlons pas ici de foi ou de rapport mystique aux mystères – est devenu l'empire de l'imposture à l'heure où un mode de vie sans acte, sans volonté, sans désir, jette les ouailles dans le plus grand désarroi.