Nous
distinguerons deux acceptions du mot communauté. La première se réfère à
un ensemble de membres qui peuvent s'investir dans le sens du faire
commun, qui peuvent directement interagir sur la nature. Nous la
nommerons la communauté directe. La seconde acception se réfère à des
communautés qui utilisent des intermédiaires aux actes posés sur la
nature, tels la violence sociale du capital, pour la construction du
sens du faire ou pour les actions et les aspirations de leurs membres,
tel un système symbolique et matériel ossifié, nous les nommerons les
communautés indirectes. Une communauté indirecte peut éventuellement
faire société, peut ne pas être une asociété. On peut y construire
éventuellement un faire ou un sens commun. Dans une communauté directe,
les rapports de force, les conflits ne sont pas nécessairement abolis
mais le faire et le sens commun se construisent nécessairement puisqu'il
n'y a pas d'intermédiaire, puisque le quotidien est partagé, une
communauté directe est nécessairement une société.
En revanche, au sein des communautés indirectes, le sujet se confond nécessairement avec l'individu. Chaque individu membre d'une communauté indirecte évolue au sein d'un réalité sur laquelle il n'a pas de prise directe. La société elle-même est une entité stable. Comme les réalités ne sont pas susceptibles de singularisation, comme l'individu ne peut agir de manière spécifique sur le cadre même. Les conditionnements sociaux ne sont pas singuliers, ils sont reproduits à l'échelle des classes sociales.
Au sein de la communauté indirecte, les individus se voient attribuer des caractéristiques définitoires. Ils intériorisent une vision catégorielle, les intermédiaires sociaux qui organisent les agents individuels en monades. Les individus sont amenés à agir, à penser en fonction de leur appartenance sociale. L'individualisation du sujet agissant répond à la médiation de l'identité sociale et de la construction des rôles sociaux. Elle dissout le potentiel de singularisation du temps vécu. De manière caricaturale, la consommation et la soumission à un employeur-propriétaire définissent la bienséance, le rôle social des agents économiques. La notion de correction et de bienséance innerve tous les milieux à mesure que le capitalisme leur fait bénéficier de la plus-value de consommation.
L'individu qui émerge des classes construites par la violence sociale du capital est un individu-masse. Il est parfaitement isolé en tant qu'unité substantielle. Il est déconnecté de la matière et de la construction de symboles comme vecteurs de singularisation. Seules demeurent actives dans son imaginaire, les scories de la pensée dominante, de la pensée conforme, les représentations de la bienséance liée à son statut social. Tout se passe comme si l'agent social devait enfiler un masque, une image d'appartenance sociale à la place d'une mémoire personnelle, d'une volonté en phase avec un monde propre, tout se passe comme si les masques se substituaient au devenir individuel et social. La bienséance sociale régit aussi bien les opinions en matière de mœurs que la politique ou la manière de s'habiller ou de parler. L'individu-masse ne se singularise pas, il est construit comme un sujet statique. Comme tous les individus-masses sont socialisés de la même façon, qu'ils partagent une même violence sociale, qu'ils partagent un même cadre sur lequel ils n'ont pas prise, ils sont interchangeables, sans qualité. Ils incarnent l'utopie de leur représentation. L'avènement de l'homme sans qualité dans la société capitaliste atteste l'échec historique de l'émancipation dont ce projet était porteur ce mode de production: la liberté individuelle sombre dans les contraintes de la bienséance, de la consommation de masse, de la prolétarisation du désir et du faire.
En revanche, au sein des communautés indirectes, le sujet se confond nécessairement avec l'individu. Chaque individu membre d'une communauté indirecte évolue au sein d'un réalité sur laquelle il n'a pas de prise directe. La société elle-même est une entité stable. Comme les réalités ne sont pas susceptibles de singularisation, comme l'individu ne peut agir de manière spécifique sur le cadre même. Les conditionnements sociaux ne sont pas singuliers, ils sont reproduits à l'échelle des classes sociales.
Au sein de la communauté indirecte, les individus se voient attribuer des caractéristiques définitoires. Ils intériorisent une vision catégorielle, les intermédiaires sociaux qui organisent les agents individuels en monades. Les individus sont amenés à agir, à penser en fonction de leur appartenance sociale. L'individualisation du sujet agissant répond à la médiation de l'identité sociale et de la construction des rôles sociaux. Elle dissout le potentiel de singularisation du temps vécu. De manière caricaturale, la consommation et la soumission à un employeur-propriétaire définissent la bienséance, le rôle social des agents économiques. La notion de correction et de bienséance innerve tous les milieux à mesure que le capitalisme leur fait bénéficier de la plus-value de consommation.
L'individu qui émerge des classes construites par la violence sociale du capital est un individu-masse. Il est parfaitement isolé en tant qu'unité substantielle. Il est déconnecté de la matière et de la construction de symboles comme vecteurs de singularisation. Seules demeurent actives dans son imaginaire, les scories de la pensée dominante, de la pensée conforme, les représentations de la bienséance liée à son statut social. Tout se passe comme si l'agent social devait enfiler un masque, une image d'appartenance sociale à la place d'une mémoire personnelle, d'une volonté en phase avec un monde propre, tout se passe comme si les masques se substituaient au devenir individuel et social. La bienséance sociale régit aussi bien les opinions en matière de mœurs que la politique ou la manière de s'habiller ou de parler. L'individu-masse ne se singularise pas, il est construit comme un sujet statique. Comme tous les individus-masses sont socialisés de la même façon, qu'ils partagent une même violence sociale, qu'ils partagent un même cadre sur lequel ils n'ont pas prise, ils sont interchangeables, sans qualité. Ils incarnent l'utopie de leur représentation. L'avènement de l'homme sans qualité dans la société capitaliste atteste l'échec historique de l'émancipation dont ce projet était porteur ce mode de production: la liberté individuelle sombre dans les contraintes de la bienséance, de la consommation de masse, de la prolétarisation du désir et du faire.
Proposition
82
L'intermédiaire
de la consommation et de la production de masse définit une
communauté d'individus sans lien et sans propriété. Ces
individus sans lien vivent leur identité par le biais de la
masse.
Proposition
83
Les
marchandises deviennent le lieu privilégié de l'investissement
affectif. Elles associent le signifié du sentiment et le
signifiant de l'objet de consommation, elles sont signes
d'un monde (presque)
crédible.
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Tout le caractère singulier des relations commerciales a été rationalisé par la distribution. À l'ère industrielle, la distribution organise des échanges de biens et de services, de marchandises à prix, entre inconnus. Les différents acteurs du procès de production et de consommation deviennent interchangeables puisque leurs propriétés, leurs caractéristiques personnelles cessent d'être des éléments significatifs. Ce faisant, en dépit de la distinction chère à Bourdieu8, la consommation sape les bases de son succès. L'objet ou le service acheté n'est plus le fruit d'une démarche singulière, du hasard, de la ténacité. Comme les classes les plus riches ne trouvent plus d'excipients à la visibilité sociale de leur domination, il faut associer les marchandises de masse à des images, les marchandises sont associées à des affects, à des émotions, à un style.
Cette association permet de conserver l'échelle des prix et des valeurs des marchandises et la hiérarchie clivant des signifiants sociaux mais elle joue avec les fondements mêmes de l'économique : les désirs. Nous avons vu le mode de création de la valeur ajoutée – par le travail abstrait et le salaire – nous avons vu l'articulation entre travail concret et travail abstrait mais, ici, quand nous parlons de moteur de l'économique, nous faisons allusion ici aux raisons qui poussent les gens à travailler, à consommer, à faire des enfants, à dépenser ou à épargner, il s'agit de la volonté de vie, du désir de continuer, de prospérer. Un individu sans ce désir n'a pas de raison de demeurer vivant, social ou en lien avec ses prochains. Or, la publicité associe le désir et la marchandise et, ce faisant, elle court-circuite le désir à l'origine de la consommation et du travail concret.
Cette association est une contradiction, une impossibilité : si demain les consommateurs se tournaient massivement vers le bio – ce mode de culture serait donc associé à une image désirable – le bio deviendrait une production massive au goût de médicament à l'instar de l'agriculture conventionnelle. De même, quand l'acquisition du véhicule s'impose pour des raisons de standing ou de désir d'appartenance à une catégorie sociale donnée, comme tous les agents sociaux sociaux sont soumis à la même injonction, le véhicule flambant neuf se retrouve avec ses pairs, coincé dans les embouteillages. Quand les classes moyennes acquièrent une résidence secondaire en Espagne, elles le font à une échelle industrielle et les campagnes espagnoles se transforment en banlieues grises, mal desservies, ennuyeuses à périr. L'exhibition de l'argent, du statut social, la consommation sociale ostentatoire devient une entreprise aléatoire parce que la consommation est lié à un désir de masse et que ce désir de masse rend l'objet même de la consommation impropre à l'ostentation, à la distinction. La manipulation des désirs conforme les comportements, ce qui les rend impropres à distinguer l'individu dans le champ social.
Proposition
84
Deux
forces s'opposent dans les signes-marchandises. La force
centripète de conformation sociale et la force centrifuge de
distinction.
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La puissance signifiante de la consommation s'effiloche en raison de son succès. L'apparence apparaît alors davantage comme une image d'une catégorie sociale, d'une pseudo-identité en kit de tribus urbaines. La composante identitaire, spectaculaire comme dirait Debord9, a pris le dessus sur la composante hiérarchique. La marchandise ne classe plus, elle affirme une identité désincarnée. Le dispositif publicitaire grégaire cesse de contribuer à l'affirmation de spécificités individuelles. Au contraire, il s'appuie sur les comportements de masse pour s'affirmer en tant que signifié. Ce que montre la consommation ostentatoire, ce qu'elle atteste, ce qu'elle signifie, ce n'est plus la distinction sociale du consommateur, c'est la toute-puissance de la consommation en tant que dispositif, en tant qu'ensemble de signes. L'espace de représentation publique est tellement parasité par la production et la consommation de masse que les signes sociaux individuels lisibles indiffèrent. Les individus-masses deviennent alors des signaux sans sens, des signaux qui hurlent dans le désert leur solitude comme s'il fallait absolument montrer aux autres individus-masses une image d'harmonie. Mais les individus-masses sont indifférents à ce que montrent les autres individus-masses de sorte que l'image du sujet et l'investissement libidinal autour de cette image se perdent dans la faculté infinie de la masse à annihiler tout projet de sens ou de singularité, dans la faculté d'un système de sens saturé à détruire tout sens10.