N’est définissable que ce qui n’a pas d’histoire
Nietzsche
L'évolution
économique entre 1914 et 1973 a quelque peu compliqué les appartenances
de classes avec l'avènement de la société de consommation alors que les
paradigmes de classes s'affichaient dans les champs de représentation
sociaux, réduisant les marges de singularisation possibles pour l'agent
social. La consommation confère aux prolétaires un pouvoir très relatif,
celui d'une plus-value de consommation, celui du bénéfice de
l'accumulation en capital fixe, en capital industriel de la machine
productive et, ce faisant, elle pousse les bourgeois à gagner toujours
plus pour ne pas subir de déclassement, de dévalorisation matérielle
relative. Alors que le prolétaire accède à la petite-bourgeoisie avec la
puissance du bénéfice de la consommation, la bourgeoisie entre en
concurrence symbolique avec la petite-bourgeoisie. Elle doit alors
cultiver la distinction, elle se met à consommer les mêmes produits mais
griffés, impayables, elle habite les mêmes villes, dans des
appartements comparables mais beaucoup plus cotés. La consommation
organise alors un système de distinction (comme dirait Bourdieu), de
hiérarchie sociale dans lequel se fondent toutes les classes antérieures
en tant qu'identités. Les classes ne disparaissent pas comme rapport de
production puisqu'une partie de plus en plus importante de la
population est contrainte de vendre sa force de travail et que de plus
en plus de gens achètent et vendent des biens et des services avec
profits.
Mais, à l'exception notable de l'hyper-bourgeoisie, les classes disparaissent en tant que groupes étanches composés d'un nombre déterminé d'individus. Les individus que les rapports de production placent tantôt comme bourgeois, tantôt comme prolétaires, ne peuvent faire l'impasse sur aucun des deux aspects paradoxaux de leur identité économique. À la limite, on pourrait voir la dissolution de l'identité de classe comme l'achèvement de l'identité de naissance commencée avec la l'abolition des castes et de leurs caractéristiques intrinsèques au profit de la société d'égaux en droit sans qualité. Ceci affecte la construction du sujet. L'individu auto-centré ou l'individu membre d'une communauté de vie se fondent tous les deux dans le définitoire de l'image de la consommation. Le symbolique ne se love plus dans l'individu ou dans le groupe, il n'est plus lié à l'histoire, aux désirs d'un sujet individuel ou collectif, mais dans la masse. L'individuel ou le communautaire devenus masse (et images, signes de la masse) ne singularisent plus le sujet par rapport à un autre sujet dans un rapport de devenir, de rencontre ; ils se dissolvent dans la masse, dans l'indistinct de masses définies en opposition les unes par rapport aux autres. L'identité devient définitoire, abstraite, théorique, désincarnée : c'est l'avènement de la race, de l'ethnie, de la nation, des familles politiques ou philosophiques, des tribus urbaines, etc. Ces identités se définissent les unes par rapport aux autres et sont constituées de gens qui ne partagent rien entre eux, que ne sont en rien interdépendants au quotidien alors que les gens proches entre eux qui partagent un même quotidien sont placés dans des catégories définitoires distinctes voire ennemies. Pour autant, la définition d’un individu-libéral sans qualité, omniprésente dans les médias de représentation de masse est impossible à incarner concrètement sans reste. En ce sens, dans la pureté du fantasme, l’entité sans qualité d’une société capitaliste demeure une utopie.
Mais, à l'exception notable de l'hyper-bourgeoisie, les classes disparaissent en tant que groupes étanches composés d'un nombre déterminé d'individus. Les individus que les rapports de production placent tantôt comme bourgeois, tantôt comme prolétaires, ne peuvent faire l'impasse sur aucun des deux aspects paradoxaux de leur identité économique. À la limite, on pourrait voir la dissolution de l'identité de classe comme l'achèvement de l'identité de naissance commencée avec la l'abolition des castes et de leurs caractéristiques intrinsèques au profit de la société d'égaux en droit sans qualité. Ceci affecte la construction du sujet. L'individu auto-centré ou l'individu membre d'une communauté de vie se fondent tous les deux dans le définitoire de l'image de la consommation. Le symbolique ne se love plus dans l'individu ou dans le groupe, il n'est plus lié à l'histoire, aux désirs d'un sujet individuel ou collectif, mais dans la masse. L'individuel ou le communautaire devenus masse (et images, signes de la masse) ne singularisent plus le sujet par rapport à un autre sujet dans un rapport de devenir, de rencontre ; ils se dissolvent dans la masse, dans l'indistinct de masses définies en opposition les unes par rapport aux autres. L'identité devient définitoire, abstraite, théorique, désincarnée : c'est l'avènement de la race, de l'ethnie, de la nation, des familles politiques ou philosophiques, des tribus urbaines, etc. Ces identités se définissent les unes par rapport aux autres et sont constituées de gens qui ne partagent rien entre eux, que ne sont en rien interdépendants au quotidien alors que les gens proches entre eux qui partagent un même quotidien sont placés dans des catégories définitoires distinctes voire ennemies. Pour autant, la définition d’un individu-libéral sans qualité, omniprésente dans les médias de représentation de masse est impossible à incarner concrètement sans reste. En ce sens, dans la pureté du fantasme, l’entité sans qualité d’une société capitaliste demeure une utopie.
Proposition
85
L'organisation
de la consommation en signes
définit un horizon
utopique d’entités sans
qualité, sans histoire, sans volonté.
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Si les rapports de production se renforcent et demeurent au XXe siècle, s'ils attestent une schizophrénie sociale, l'identité substantialiste, définitoire de ce que nous nommons les masses résout quant à elle cette tension dans l'univocité du moi, dans l'abstraction définitoire sans que le vécu du sujet, individu ou groupe, en soit directement affecté. Puis arrive le moment où le réel de la vie quotidienne est déterminé, influencé, défini, envahi par l'identité définitoire de masse.
À ce moment, la porte de la barbarie est ouverte. En opposition à la fadeur d'un quotidien devenu utile à un système dépersonnalisant, le fantasme absolu du fascisme sous toutes ses formes peuple le vide et met en scène la puissance collective dans les décombres de l'existence du collectif, elle met en scène les qualités de l'individu, la bravoure, la fidélité ou l'engagement dans leur imitation, elle met en scène la puissance dans la farce morbide du pouvoir. Face au vide, elle apporte une réponse totale.
L'identité utopique de masse est un processus nécessairement lié à l'industrialisation. Les moments d'intensité médiatiques pallient l'absence de singularisation dans l'existence en créant le sujet-masse. Le fascisme capte cette l'aspiration paradoxale, schizophrénique des petits-bourgeois. Il met en scène l'image, l'ersatz de son intensité, de son harmonie en recourant à la thèse de l'ennemi proche (ou, en version US, de l'ennemi lointain mais dangereux). L'existence de l'ennemi et de la menace imposent une solidarité sans faille, une obéissance à un pouvoir absolu qui tire là prétexte à l'abdication de la puissance des sujets individuels et collectifs.
Proposition
86
Les
masses sans singularité craignent l'étranger absolu, le vivant,
ce qui est susceptible – à tort ou à raison – dans leurs
représentations d'incarner la volonté, le devenir, la puissance.
Proposition
87
L'étranger
absolu est toujours une représentation fantasmée du vivant
refoulé des masses.
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Note 32. la barbarie
I. Nous définirons la barbarie comme un état politique dans lequel l'humain est congédié de son propre monde, il y devient étranger.
L'humain peut être congédié de diverses façons.
Il peut être utilisé à d'autres fins. L'humanisme cède alors le pas au totalitarisme, l'humain devient un simple objet pour arriver à une fin extérieure à lui-même. Dans l'emploi, le travailleur est utilisé pour générer du profit par les propriétaires lucratifs. L'humain n'est plus une fin mais c'est un moyen, un outil pour atteindre d'autres fins, lucratives.
Il peut-être dépossédé de ses qualités au premier rang desquelles le savoir utile à sa survie et la possibilité de jouir de l'usage de ce qui lui utile à sa survie. Cette double dépossession, matérielle et cognitive, est ce que nous appelons à la suite de Marx la prolétarisation.
L'humain peut-être manipulé. On lui envoie alors de l'information inexacte pour l'amener à prendre des décisions à l'encontre de ses intérêts.
L'humain peut-être formé à l'efficience, à l'efficacité, à la "résolution de problème" tout en étant désensibilisé à la question du sens des choses, des actes. Un lavage de cerveau plus ou moins subtile permet d'évacuer le 'pourquoi' par le 'comment'. Ces manipulations aboutissent à un homme sans qualité, à un être dépourvu de sens éthique, à un sociopathe. C'est le comportement qui est exigé dans les entreprises.*
* *
II. Pour Rosa Luxemburg11, le fait que le capital-travail mort grossisse à chaque cycle, à chaque fois que le capital investi devient marchandise avant de redevenir capital, rend l'effondrement du système inéluctable: l'accumulation ronge tout, y compris les bases matérielles de son propre succès. Soit cet effondrement aboutit à une oligarchie de type totalitaire (il s'agit alors de barbarie, c'est la guerre de tous contre tous, l'humain devient un simple pion inlassablement sacrifié sur l'autel de l'économique), soit on arrive au socialisme (c'est-à-dire à la socialisation des moyens de production, à la fin de la dichotomie prolétaire-propriétaire).*
* *
III. Dans l'acception actuelle de la barbarie, il faut également inclure la pernicieuse idéologie qui veut que le vivant se justifie, doive se légitimer envers l'économique. Cette barbarie pousse des gens à s'excuser de leur existence du point de vue économique. Il s'agit là d'un renversement des termes criminel: c'est l'économique qui doit se justifier envers le vivant, c'est l'économique qui doit garantir au vivant une juste et suffisante prospérité et non l'inverse.
Un chômeur qui rase les murs parce qu'un système économique ne lui laisse pas de place, c'est aussi absurde qu'un conducteur qui se sent coupable des ratés de sa voiture.
Là où cette barbarie moderne est particulièrement hégémonique, c'est qu'elle est intériorisée par de nombreux producteurs qui estiment qu'il faut montrer un mérite (économique) pour avoir le droit de vivre. Cette façon de voir congédie l'humain comme fin et lui substitue une fin économique au service de laquelle il doit se soumettre, corps et âme. Cette barbarie est intériorisée par les intéressés. Ils se sentent coupables (de vivre? d'incarner la forme de vie qu'ils incarnent? d'avoir les goûts, les penchants, les peurs, les blessures qu'ils ont?) de ne pas trouver de place dans le circuit économique.
De notre point de vue, le fait qu'aucune personne n'ait de place légitime, qualifiante et qualifiée dans l'économie atteste la profonde inefficacité de l'organisation de cette dernière et l'inanité des concepts qui la sous-tendent. Quand une machine - l'économie est une machine - est inefficace, on la remplace, on la répare: il s'agit d'inventer une économie qui intègre tous les producteurs dans leur dignité, dans le respect de ce qu'ils sont, dans le respect de leurs limites, de leurs forces, de leurs changements, de leurs faiblesse faute de quoi, il n'y a pas lieu de parler d'économie mais de chrématistique totalitaire.
Note 33. Le totalitarisme et l'emploi
Hannah Arendt décrit le totalitarisme dans le troisième volume de sa trilogie sur l'impérialisme12. Nous avons voulu voir dans quelle mesure cette notion pouvait s'appliquer à l'horizon obligatoire et indépassable de l'emploi, du travail soumis à l'accumulation de capital.
Arendt analyse deux régimes totalitaires: le stalinisme et le nazisme. Faute de documents suffisants relatifs au premier, elle consacre l’essentiel de son travail au second.
En première lecture, il apparaît que l'emploi n'est pas incarné par un leader charismatique, une figure toute puissante à laquelle l'obéissance, la soumission est acquise. Sauf à s'armer d'une mauvaise foi à l'épreuve des balles, difficile de faire passer pour de telles monstruosités des nains politiques genre Obama, Barroso ou Hollande; difficile de voir les parangons de la logique employiste la plus stricte, les Lagarde, les DSK voire les leaders d'extrême droite, comme des aspirants chefs absolus. Nous considérerons donc l'idéologie de l'emploi comme un totalitarisme acéphale, sans tête.
C'est que la soumission à la figure du chef est centrale dans le totalitarisme décrit par la philosophe.
Par contre, de nombreux traits typiques du totalitarisme se retrouvent dans l'idéologie de l'emploi (à des degrés divers). Comme le totalitarisme, l'idéologie de l'emploi naît dans une société où les liens sociaux se sont distendus, dans une société d'individus-atomes paumés.
1. l'idéologie de l'emploi se déclare victime de 'parasites' qui ont promis sa perte, qui vivent en suçant son sang, compromettent la reprise, la prospérité générale. Ces 'parasites' sont identifiés comme des coûts par le tenant de l'emploi. Il s'agit des chômeurs, des personnes âgées, des pauvres, des malades, des fonctionnaires, des collègues ou des fous. Peu importe, ces 'parasites' sont accusés de provoquer la perte du système. Le totalitarisme se construit en tout cas un ennemi qu'il stigmatise.
2. Après avoir identifié des groupes sources de tous les maux, « l'employisme » va s'occuper d'eux. D'abord, il les harcèle, il en fait des citoyens de deuxième classe puis, peu à peu, il les isole, il les met dans des camps. De toutes façons, quoi qu'il arrive, il importe au totalitaire de conserver ce schéma: accuser l'ennemi (toujours à trouver, à inventer) des maux, des malversations dont l'employiste est lui-même coupable. Les actionnaires vont accuser les chômeurs de gagner de l'argent sans travailler; les propriétaires vont associer la rémunération au mérite, les boursicoteurs vont réclamer la fin des salaires (sociaux) inconditionnels, etc. Les ennemis désignés – les chômeurs, en l'occurrence, ou les retraités – sont mis en posture de devoir se justifier a priori.
3. Les théories totalitaires s'articulent autour de l'organisation et de la propagande aux portes du succès. Concrètement, les organes de la presse bien pensante sont tous inféodés à cette logique, les organisations politiques ou syndicales elles-mêmes réclament ... de l'emploi. La police du défunt État-Nation doit servir à l'application de cette théorie, elle est doublée de diverses polices sociales chargées de contrôler - ou de sanctionner - le comportement des populations stigmatisées. Ces contrôles s'appliqueront finalement aux populations non directement stigmatisées: les employés sont à leur tour rapidement suspectés de frauder, de tirer au flan, de voler leur employeur. Des structures de contrôles sont développées au sein des entreprises parallèlement au contrôle des populations hors du cadre permis.
4. Le totalitarisme fond l'individu dans un être sans qualité, entièrement soumis à la logique totalitaire, cet individu devient masse sans tête, il n'est plus ce qu'il est. C'est précisément ce type d'engagement qui arrive dans le monde de l'emploi, engagement qui génère tant de coûts humains, qui détruit tant d'existences, de potentiels. Ce type d'engagement rend les employés malades et grève les budgets de la sécurité sociale.
Le totalitarisme est une séduction de la masse, de l'élite aussi bien que du peuple. Cette séduction est attestée par les propos de comptoir aussi bien que par les forums économiques chics et chers dans les stations helvètes de sport d'hiver huppées.
4(bis). L'acte du travail concret n'a pas de sens dans l'univers totalitaire. On ne fait rien par intérêt pour la chose ou par intérêt pour la fabrication de la chose, on ne fait rien par curiosité. C'est bien sûr l'ambiance qui règne sur les lieux d'emploi et dans les institutions qui harcèlent les salariés hors emploi. Il faut admettre à tout prix la soumission à l'activité vénale et, dans le cadre de l'activité vénale, rien n'est fait parce que le travailleur veut le faire, tout est fait par soumission à une logique voire à des agents qui incarnent cette logique.
5. À un moment donné, les prétextes de productivité, d'intérêt matériel disparaissent. Les exigences totalitaires deviennent contre-productives. La rentabilité, la soumission à la logique de l'emploi, aux protocoles divers, la prolétarisation de la tâche, de l'encadrement ou de la gestion obèrent la productivité au nom de laquelle elles prétendent agir. Les faibles gains escomptés par le harcèlement des chômeurs ou des employés sont largement dépassés par les frais qu'occasionnent les politiques de contrôle.
6. Les ressources sont gérées sans soin, comme de simples choses à piller (comme, par exemple, le pétrole). En la matière, il suffit de faire le bilan écologique et humain des quarante dernières années d'employisme au niveau mondial et on est pris d'un vertige. En tous cas, ceci signifie, en particulier, que la vie humaine est considérée comme un moyen par rapport aux fins que se donne le totalitarisme. C'est un dommage collatéral, une perte sans importance. Pour les tenants du totalitarisme, leur vie-même, celle de leurs parents, de leurs proches, n'a aucune importance par rapport aux objectifs, à la soumission totalitaire.
7. Une fois le totalitarisme au pouvoir, il multiplie les structures décisionnelles concurrentes de sorte que l'arbitraire puisse toujours surgir d'un endroit inattendu. Il n'a y donc pas de responsable, d'autorité qui puisse être interpellé. Seul importe in fine le chef dans le cas des totalitarismes céphales et, dans le cas de « l’employisme » qui nous occupe, seul importe le triomphe de sa logique. Qu'importe si les recettes de compression de la dépense publique prises au nom de l'emploi génèrent un chômage de masse, qu'importe si la déflation salariale ne donne rien, on continue ce qui ne marche pas, on continue malgré la longue liste des pays saignés par ce genre de politique, par la misère de masse qu'elles engendrent.
Dans le cas qui nous intéresse, les médias employistes, les organisations patronales, la superposition des niveaux de pouvoir (État, Régions, Europe, etc.) défausse de toute responsabilité les preneurs de décision. Ils n'ont de toutes façons de comptes à rendre à personne - ce qui explique pourquoi une infime minorité idéologique a seule voix au chapitre, pourquoi les décisions tombent comme les plaies d'Égypte sans que personne n'ait pu les prévoir, les prévenir. Le prochain traité plane alors que le dernier n'est pas digéré sans que personne, personne ne l'ait réclamé dans la rue, n'ait voté pour lui à quelque niveau que ce soit. Karel de Gucht nous rassure, ce traité, cette fois promis-juré, va favoriser ... mais oui, l'emploi!
8. Le totalitarisme s'organise par cercles concentriques. Les cadres dirigeants du parti ne fréquentent que les Waffen-SS qui ne fréquentent que les SS. Lesquels se gardent bien de fréquenter autre chose que les SA dont le cercle social se limite strictement aux adhérents du parti. Adhérents qui ne fraient qu'avec des sympathisants. C'est ainsi que, de cercle en cercle, l'horizon social des acteurs impliqués se limite à des acteurs (un peu moins) impliqués. Cette composition de l'univers social cadre la vision du monde des intéressés, ce qui était le but.
Là aussi, nous retrouvons ce type d'organisation concentrique dans les instances de socialisation de l'employisme, dans leur diffusion. Reste à charge du dernier cercle de rendre les idées totalitaires présentables pour le vulgum pecus. Les syndicats, les hommes politiques ou les publicitaires ne ressortent assurément qu'à ce dernier cercle, celui de la (re)présentation de l'idéologie totalitaire.
En premier lieu, des instances de pouvoir plus ou moins obscures - Bilderberg, Gmachin ou Davos. Puis, les dirigeants politiques non élus des instances multinationales (souvent en concurrence, d'ailleurs). Autour, les journalistes et les hommes politiques d'envergure. Ensuite viennent les petites mains de l'ordre totalitaire acéphale, seules en contact avec l'extérieur, les journalistes, les syndicalistes et les bases des divers partis politiques.
Ce type d'organisation se retrouve dans toutes les compagnies privées de quelque importance. Les services se chevauchent dans une hiérarchie concentrique avec, au centre, un système acéphale de profit.
Bien sûr, l'idéologie totalitaire est vécue par chacun dans sa chair. Ce sont les corps et les âmes des individus qui sont cassés, soumis dans l'emploi, mais on les habille d'une idéologie présentable: pour être plus productifs, pour demeurer compétitifs, parce que l'argent, ça se mérite, etc. Ces propagandes de masse ont une efficacité qu'il ne nous faut pas sous-estimer. Il importe avant toute chose de conserver sa liberté de penser et d'agir. Le hiatus entre la souffrance dans l’emploi et l’hégémonie de « l’employisme » crée une dissonnance cognitive auprès des producteurs. Cette dissonnance cognitive nourrit une torpeur fataliste ou une rancœur velléitaire.
9. Le totalitarisme organise une vision du monde dans laquelle des 'nuisibles' doivent être retirés au nom de lois naturelles - il est d'ailleurs curieux qu'il faille, au nom de la nature, améliorer ce que la nature a fait – le genre humain, avec ses invalides, ses personnes âgées et ses chômeurs – mais passons. De même, la rémunération qui exclut des 'nuisibles' doit-elle être appliquées au nom de 'lois naturelles'. C'est que le libéralisme, convention capitaliste de l'emploi se donne pour naturelle, pour inéluctable, elle donne pour indiscutable des choix politiques 'naturels'. Mais, magie, n'oubliez pas que d'autres pays, d'autres civilisations ont fait, font et feront d'autres choix que ceux présentés comme 'inéluctables' parce qu'ils sont 'aussi naturels que la gravitation'. Contentons-nous d'évoquer ce qui constitue l'essentiel de la pensée politique employiste thatchérienne: There is no alternative (« On n'a pas le choix »), connu sous son acronyme TINA.
Croire que l'exclusion, la condamnation dans une société prospère à des tâches stupides, répétitives, à la soumission à la rapidité est une malédiction 'naturelle' aussi insurmontable que l'effet Doppler, c'est se condamner à accepter ses propres chaînes, à les voir comme quelque chose d'insurmontable.
Nous rappelons que l'économie résulte de choix humains, que d'autres choix génèrent une autre économie. De la même façon, le type de production, la façon d'organiser la production humaine, les tâches sont eux aussi des situations liées à des choix.
10. La terreur d'État envahit les régimes totalitaires. De temps en temps, des grands messes, impressionnantes, écrasantes, sont mises en scène alors que, dans l'intimité, tous sont isolés et craignent un ordre arbitraire, violent. Dans le cas de l'employisme, les salons de l'emploi sont de piètres grands messes comparées aux JO ou aux quelconques championnats divers et variés, aux événements commerciaux alors que tous craignent pour leur emploi, pour leur argent, pour leurs vieux jours, alors que tous craignent le chômage, la misère, l'exclusion sociale.
Mais un totalitarisme est faible car il ne tient que par l'idéologie (et par la soumission au chef, sans objet en l'occurrence). En construisant d'autres visions du monde, on permet la liberté de chacun, l'existence sociale de tous, on rejette le rejet et on libère le formidable potentiel humain (certes impossible à évaluer en terme de PIB, mais ceci est une autre histoire).
Le discours du chef aux masses n'est pas une dérive de ce que les beaux esprits appellent la démocratie libérale, il est le principe du libéralisme industriel, le palliatif de l'absence de construction de l'identité des sujets dans l'interaction, dans la volonté et dans l'individuation. Le marché politique (ou les championnats de sports) offrent des approximations de l'identité-masse, du marché de la construction d'identités en kit. Comment d'ailleurs être élu sans prétendre représenter l'essence d'un peuple, sujet éternel et légitime ?
L'identité substantialiste utopique, définitoire, qu'offrent les partis politiques ou les marques, les modes de consommations comme distinction sociale, définit, contrôle et utilise les affects du groupe et, ce faisant, interdit toute singularisation. Cette identité fonctionne comme refuge face à un monde sans puissance, sans volonté – individuelle ou collective. Le paradoxe de l'ubiquité sociale se fond dans l'appartenance totale à ce qui n'est pas, à une narration désincarnée.
Proposition
88
La
massification des affects et des identités construit le fascisme
existentiel, l'aspiration à un ordre absolu, incarné par un chef
ou par des principes inaltérables.
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