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Après avoir été l'apanage
d'une élite aussi incompréhensible qu'ennuyeuse, l'économie refait
son irruption dans le champ du débat démocratique. À l'occasion
d'une crise quarantenaire, l'on commence à se poser la question de
la plomberie, des structures économiques qui ont amené à ce
désastre au long cours. C'est qu'il en faut du mérite pour évacuer
le fait qu'une question qui ne trouve pas de réponse depuis des
décennies ne peut qu'être mal formulée. C'est que les recettes
prodiguées par les illustres spécialistes de l'économie politique
du capital ou de la finance renforcent le mal et enfoncent les
économies en crise dans leur maladie.
Çà et là, on commence à se
demander si le problème, ce n'est pas la solution, justement ;
si ce qui amène à la crise, ce ne sont pas les remèdes prescrits
par les docteurs économistes. Cette question remet en cause la
logique même de l'économie, sa façon de fonctionner, bien sûr,
mais aussi, plus fondamentalement, les concepts qu'elle construit,
qu'elle utilise. Si l'économie était un garagiste, en cas de panne,
vous reviendriez de chez elle avec une grosse facture et une voiture
inutilisable. Si à un moment donné, dans le cadre d'un projet
individuel ou collectif, vous voulez utiliser votre véhicule, il
vous faudra bien questionner le garagiste, ses pratiques, ses
compétences et son mode de fonctionnement, il vous faudra bien
trouver un garagiste qui
répare votre véhicule.
Nous en sommes là. Les élites
sont complètement discréditées par leurs échecs répétés et par
leur entêtement – même si, en leur sein, des lignes de fracture
se laissent entrapercevoir.
En amont, la question même de
l'économie se pose. S'il s'agit d'une science cybernétique destinée
à gouverner, s'il
s'agit d'un savoir extérieur aux problèmes considérés, d'un
regard sur l'activité
humaine extrait de l'activité humaine, l'économie
est condamnée à rester cet abominable charabia pseudo-savant
destiné à justifier l'injustifiable, à prolonger l'ordre
chaotique, à contraindre sous la nécessité
les humains de poser des actes qu'ils réprouvent. L'économie
qui considère l'humain comme une externalité, comme une donnée
secondaire par rapport aux
résultats, aux chiffres n'est qu'une barbarie appelée à
disparaître dans les cloaques de l'histoire.
Par contre, si, au lieu de
considérer la machine à dominer qu'est l'économie
politique, on la pense comme technique de production destinée
à rencontrer notre appétit de vie, de puissance, destinée à
humaniser le monde, elle peut alors devenir un outil précieux à la
genèse duquel nous avons l'ambition de contribuer. Les sorties de la
nasse actuelle sont nombreuses. Nous en dégagerons trois qui
semblent compatibles avec l'économie comme technique telle que nous
entendons la fonder :
- les mouvements de fuite, de retour à l'économie pratique se dégagent de la prégnance de la valeur d'échange ou profit de la valeur d'usage
- les communes à l’œuvre dans ce que le Comité invisible1 nomme le mouvement des places posent l'acte ensemble comme fondement d'une puissance matérielle commune
- l'option de la valeur salariale socialise la valeur économique2.
Ces trois options économiques – économique au sens où nous tentons de le définir, c'est-à-dire non comme machine à maîtriser la production humaine mais comme technique pour la penser, la faire devenir et la libérer – partagent une même ambition d'émancipation, de construction d'une vie dans laquelle le désir et la puissance s'incarnent, dans laquelle l'individu et le groupe ne s'opposent plus. En tant que telles, elles partagent une ambition du monde dont notre travail se veut également porteur.
Nous allons faire ici un bilan de la science économique, de ses errances, de ses enjeux. Le traité économique suit un chemin simple. Il s'agit de comprendre le fonctionnement des économistes, de cadrer les enjeux et les contradictions de leur raisonnement et, dans un troisième temps, de construire une science économique moins inefficace en termes humains et inopérante en termes cybernétiques. Pour reprendre notre image, nous voulons trouver un bon garagiste. Pour ce faire, le traité ne part pas les mains vides. Il explore, au contraire, tous les modes de pensée économique alternatifs en faisant la part belle aux économistes, aux philosophes qui pensent le problème du travail et de la prospérité générale puisque c'est à ce niveau que se situent les enjeux de l'impuissance individuelle et collective actuelle.
À titre personnel, j'ai mené un entretien avec Bernard Friot (L'Émancipation du travail) autour des enjeux économiques. C'est à la suite de cet entretien – et armé des réflexions de l'économiste français – que j'ai voulu prolonger mes réflexions. C'est dit, on ne sort pas indemne d'une rencontre pareille. J'assume parfaitement l'influence d'un économiste aussi riche, aussi foisonnant. Néanmoins, mon travail ne s'inscrit pas exclusivement dans sa suite. L'influence est là, la réflexion critique demeure.
J'ai étudié ici l'inflation, l'économie du désir, la construction de la classe moyenne ou la création monétaire. La question de la crise et de l'effondrement traverse l'ouvrage.Il me faut donc tout à la fois marquer l'empreinte qu'a laissée Bernard sur ma pensée et le devenir, l'autonomie de ma pensée par rapport à lui. Cet ouvrage se veut tout à la fois un résumé des points de vue critiques, une réflexion qui part des impasses de la science économique, de la crise et l'esquisse d'une science économique qui permette de dépasser les contradictions et les blocages dans lesquels nous sommes emprisonnés.
Des points de vue remettent en question le cadre de pensée de l'économie, ils permettent une mise en question, une mise en perspective, d'enjeux économiques cruciaux en terme de prospérité, de santé ou de construction sociale en interrogeant les soubassements, les présupposés métaphysiques, idéologiques ou théologaux derrière les options économiques. Ce traité ne veut pas trancher – même si nous considérons les propositions de Bernard Friot comme une option pour sortir de l'impasse, même si nous les présentons en tant que telles – il veut cadrer, poser des enjeux. Il s'agit plus de poser des questions que d'apporter des réponses. À terme, cependant, comme l'impéritie des élites invalide la foi envers ce qu’elle s'obstinent à nommer de l'économie, envers le contrôle des populations par le pouvoir, envers la violence sociale objectivée et naturalisée, il s'agit de construire une nouvelle science économique qui soit susceptible aussi bien de jauger le devenir de l'économie que de prendre des décisions efficaces pour le modifier en vue de pouvoir poser des actes individuels et collectifs, en vue de créer une prospérité générale qui abrite les talents, la créativité, l'inventivité, la patience, la qualification des individus et des groupes.
L'économie telle que nous l'avons brièvement définie, telle que nous avons l'ambition de la construire, doit aussi bien instruire le dossier de l'état des choses que permettre de poser des actes libérateurs au quotidien. L'économie, c'est la science des lois du foyer, étymologiquement, c'est l'ensemble des principes, des pratiques qui pensent la prospérité générale. Nous comprenons l'ensemble de ces lois comme une logique inhérente aux actes individuels et collectifs. Elles ne doivent pas se poser comme extérieur mais s'évaluent au contraire en fonction de ce qu'elles servent : notre commune puissance humaine. Ce n'est en aucun cas un ramassis de lois approximatives qui entendent augmenter le retour sur investissements de tristes sires avides. L'avidité est un principe anti-économique puisqu'elle détermine les actes, puisqu'elle restreint la puissance, puisqu'elle substitue à cette puissance un pouvoir forcément extérieur, forcément hostile à celles et ceux sur qui il s'exerce, à la puissance individuelle et collective. Avec cette approche intuitive de l'économie, nous pouvons facilement en esquisser une définition. L'économie est l'étude de la production qui implique les humains et l'instruction des décisions qui modifient cette production. Cette définition doit être assortie d'un horizon : l'économie doit servir à faire fonctionner le foyer au mieux, à nous rendre puissants, prospères et passionnés. Il ressort de cette définition issue de notre cadre de pensée que l'économie est de toute façon politique puisqu'elle implique des décisions sur le vivre ensemble, qu'elle est de toute façon métaphysique puisqu'elle interroge en tant que science les désirs communs, les aspirations communes. Une science économique ne pourra en aucun cas nier les caractères politiques et métaphysique, l'engagement qui l'habitent faute de sombrer dans une imposture sophistiquée plus ou moins crédible.
Le texte du tractatus œconomicus peut décourager au final non seulement à cause de l'aridité du propos mais aussi à cause de l'ampleur de l'ouvrage. Pour alléger le propos et pour permettre une lecture à plusieurs niveaux, nous avons émaillé le texte de cinquante-deux notes (la table des notes se trouve dans la colonne de droite en bas) qui peuvent être lues indépendamment du texte même si elles constituent souvent des étapes importantes dans le texte. Par ailleurs, nous avons résumé les passages mathématiques ardus de telle sorte que les lecteurs rétifs à cette discipline ne se découragent pas et nous avons formulé de temps en temps des assertions tirées de notre réflexion. Les résumés et les assertions se trouvent dans des encadrés.
- les mouvements de fuite, de retour à l'économie pratique se dégagent de la prégnance de la valeur d'échange ou profit de la valeur d'usage
- les communes à l’œuvre dans ce que le Comité invisible1 nomme le mouvement des places posent l'acte ensemble comme fondement d'une puissance matérielle commune
- l'option de la valeur salariale socialise la valeur économique2.
Ces trois options économiques – économique au sens où nous tentons de le définir, c'est-à-dire non comme machine à maîtriser la production humaine mais comme technique pour la penser, la faire devenir et la libérer – partagent une même ambition d'émancipation, de construction d'une vie dans laquelle le désir et la puissance s'incarnent, dans laquelle l'individu et le groupe ne s'opposent plus. En tant que telles, elles partagent une ambition du monde dont notre travail se veut également porteur.
Nous allons faire ici un bilan de la science économique, de ses errances, de ses enjeux. Le traité économique suit un chemin simple. Il s'agit de comprendre le fonctionnement des économistes, de cadrer les enjeux et les contradictions de leur raisonnement et, dans un troisième temps, de construire une science économique moins inefficace en termes humains et inopérante en termes cybernétiques. Pour reprendre notre image, nous voulons trouver un bon garagiste. Pour ce faire, le traité ne part pas les mains vides. Il explore, au contraire, tous les modes de pensée économique alternatifs en faisant la part belle aux économistes, aux philosophes qui pensent le problème du travail et de la prospérité générale puisque c'est à ce niveau que se situent les enjeux de l'impuissance individuelle et collective actuelle.
À titre personnel, j'ai mené un entretien avec Bernard Friot (L'Émancipation du travail) autour des enjeux économiques. C'est à la suite de cet entretien – et armé des réflexions de l'économiste français – que j'ai voulu prolonger mes réflexions. C'est dit, on ne sort pas indemne d'une rencontre pareille. J'assume parfaitement l'influence d'un économiste aussi riche, aussi foisonnant. Néanmoins, mon travail ne s'inscrit pas exclusivement dans sa suite. L'influence est là, la réflexion critique demeure.
J'ai étudié ici l'inflation, l'économie du désir, la construction de la classe moyenne ou la création monétaire. La question de la crise et de l'effondrement traverse l'ouvrage.Il me faut donc tout à la fois marquer l'empreinte qu'a laissée Bernard sur ma pensée et le devenir, l'autonomie de ma pensée par rapport à lui. Cet ouvrage se veut tout à la fois un résumé des points de vue critiques, une réflexion qui part des impasses de la science économique, de la crise et l'esquisse d'une science économique qui permette de dépasser les contradictions et les blocages dans lesquels nous sommes emprisonnés.
Des points de vue remettent en question le cadre de pensée de l'économie, ils permettent une mise en question, une mise en perspective, d'enjeux économiques cruciaux en terme de prospérité, de santé ou de construction sociale en interrogeant les soubassements, les présupposés métaphysiques, idéologiques ou théologaux derrière les options économiques. Ce traité ne veut pas trancher – même si nous considérons les propositions de Bernard Friot comme une option pour sortir de l'impasse, même si nous les présentons en tant que telles – il veut cadrer, poser des enjeux. Il s'agit plus de poser des questions que d'apporter des réponses. À terme, cependant, comme l'impéritie des élites invalide la foi envers ce qu’elle s'obstinent à nommer de l'économie, envers le contrôle des populations par le pouvoir, envers la violence sociale objectivée et naturalisée, il s'agit de construire une nouvelle science économique qui soit susceptible aussi bien de jauger le devenir de l'économie que de prendre des décisions efficaces pour le modifier en vue de pouvoir poser des actes individuels et collectifs, en vue de créer une prospérité générale qui abrite les talents, la créativité, l'inventivité, la patience, la qualification des individus et des groupes.
L'économie telle que nous l'avons brièvement définie, telle que nous avons l'ambition de la construire, doit aussi bien instruire le dossier de l'état des choses que permettre de poser des actes libérateurs au quotidien. L'économie, c'est la science des lois du foyer, étymologiquement, c'est l'ensemble des principes, des pratiques qui pensent la prospérité générale. Nous comprenons l'ensemble de ces lois comme une logique inhérente aux actes individuels et collectifs. Elles ne doivent pas se poser comme extérieur mais s'évaluent au contraire en fonction de ce qu'elles servent : notre commune puissance humaine. Ce n'est en aucun cas un ramassis de lois approximatives qui entendent augmenter le retour sur investissements de tristes sires avides. L'avidité est un principe anti-économique puisqu'elle détermine les actes, puisqu'elle restreint la puissance, puisqu'elle substitue à cette puissance un pouvoir forcément extérieur, forcément hostile à celles et ceux sur qui il s'exerce, à la puissance individuelle et collective. Avec cette approche intuitive de l'économie, nous pouvons facilement en esquisser une définition. L'économie est l'étude de la production qui implique les humains et l'instruction des décisions qui modifient cette production. Cette définition doit être assortie d'un horizon : l'économie doit servir à faire fonctionner le foyer au mieux, à nous rendre puissants, prospères et passionnés. Il ressort de cette définition issue de notre cadre de pensée que l'économie est de toute façon politique puisqu'elle implique des décisions sur le vivre ensemble, qu'elle est de toute façon métaphysique puisqu'elle interroge en tant que science les désirs communs, les aspirations communes. Une science économique ne pourra en aucun cas nier les caractères politiques et métaphysique, l'engagement qui l'habitent faute de sombrer dans une imposture sophistiquée plus ou moins crédible.
Le texte du tractatus œconomicus peut décourager au final non seulement à cause de l'aridité du propos mais aussi à cause de l'ampleur de l'ouvrage. Pour alléger le propos et pour permettre une lecture à plusieurs niveaux, nous avons émaillé le texte de cinquante-deux notes (la table des notes se trouve dans la colonne de droite en bas) qui peuvent être lues indépendamment du texte même si elles constituent souvent des étapes importantes dans le texte. Par ailleurs, nous avons résumé les passages mathématiques ardus de telle sorte que les lecteurs rétifs à cette discipline ne se découragent pas et nous avons formulé de temps en temps des assertions tirées de notre réflexion. Les résumés et les assertions se trouvent dans des encadrés.
1Comité
Invisible, À nos amis, La
Fabrique, 2014.
2Tel le Réseau Salariat, voir son site en ligne http://www.reseau-salariat.info/?lang=fr