Lors
d'une conférence de Bernard Friot, l'économiste exposait l'idée de
calculer les prix en multipliant les consommations intermédiaires
par un facteur de 1,25 (si ma mémoire est bonne, peu importe). Un
auditeur avisé remarqua que, si l'on multipliait les consommations
intermédiaires par 1,25, les productions de matières premières ne
pourraient pas produire de valeur économique puisqu'elles ne
nécessitaient que de
la main-d’œuvre, sans consommation intermédiaire. Par suite de ce
manque de production de valeur économique, toute
valeur
économique allait disparaître par contamination. Cette question
s'inscrit dans une vision de l'économie comme une pyramide dans
laquelle la valeur économique suit un trajet linéaire, montant (du
secteur primaire au secteur quaternaire), gonflant à mesure que le
travail humain lui donne de l'importance. C'est une vision fort
commune – et fort conforme à notre sens commun. Pourtant, après
les réflexions que nous a inspirées cette intéressante remarque
nous arrivons à la conclusion que toute production de valeur
économique est sociale, d'emblée. Les champignons que l'on ramasse
sans équipement, sans louer d'emplacement pour les vendre, sans les
transporter au moyen d'un véhicule, etc. Les champignons sans
consommation intermédiaire sont des champignons qui n'ont déjà
pas
de prix, ce sont ceux que vous allez cueillir le dimanche en famille
pour les rissoler. Les autres champignons, ceux du marché,
nécessitent un équipement, un véhicule ; ils doivent être
vendus sur
un étal (qu'il faut acquérir), sur un emplacement loué. Quant aux
champignons industriels, ils nécessitent des investissements lourds,
du matériel de haute technologie, un transport mécanisé à
l'extrême, etc.
De
même, le pétrole, la mine ou l'agriculture sont des secteurs dits
primaires
dans
lesquels la valeur ajoutée est essentiellement le fait des
investissements, dans lesquels la rémunération de la main-d’œuvre
joue un rôle marginal (sur une ferme, le gros des dépenses part en
bâti, en entretien de bâti, en matériel – souvent à haute
technologie, même dans une petite exploitation biologique – et en
énergie. Si la remarque de l'auditeur avisé est très pertinente
pour l'art (dans lequel le salaire est déterminant dans un premier
temps) ou la restauration, elle peut certainement se résoudre, si
l'on veut mettre au point les propositions de Friot de pratique
salariale de la valeur par des ajustements techniques, des modes de
calcul spécifiques, un coefficient de 1,25 minimum,
etc. Pour
ce
qui nous concerne, la question ne se pose pas à ce niveau-là. Cette
question nous fait découvrir que la valeur économique ne suit pas
un parcours linéaire, séquentiel unique mais qu'elle s'inscrit dans
un réseau autoréférentiel. Si l'on néglige la valeur ajoutée, le
camion qui extrait le minerai de fer a de la valeur parce que le
métal qui le constitue a de la valeur et ce métal a de la valeur
parce que le minerai en a. In
fine, c'est
l'ensemble de la valeur économique qui a de la valeur économique
parce que la valeur économique … a de la valeur économique. La
valeur économique fonctionne comme un crédit auto-référentiel en
réseau. Ce crédit auto-référentiel en réseau se nourrit
d'éléments extérieurs tels les ressources naturelles et le temps
humain. La valeur économique est une tautologie, un solipsisme de
réseau.