Dans la Grèce antique, la notion de propriété ne coïncidait pas
avec la métaphysique de la violence abstraite capitaliste. L'objet
était un trophée donné au sportif pour son exploit ou un sacrifice
pour les dieux7.
Le sentiment de possession répondait à des ressentis multiples et
symboliques. L'objet témoignait de la valeur, de la condition du
possesseur. La possession est investie d'une force symbolique, la
notion de la valeur […]
est en passe de devenir autonome, une imagination traditionnelle
assure la continuité avec l'idée magico-religieuse de mana8.
La propriété, l'image de la valeur du bien participe d'une économie
symbolique sociale.
Mais cette économie concrète de la valeur symbolique magique se
transforme en argent – selon Graeber via le système des soldes des
militaires, puisque la dette préexistait à l'argent. Le symbolique
avait déjà dissocié valorisation et utilité ou usage pratique.
Note
35. La révolution de Solon
Les
cités grecques concentrent géographiquement les édifices du
pouvoir. L'administration, le parlement, la justice y bâtissent
leurs sanctuaire. La ville est le royaume de la valeur symbolique et
de la violence sociale et militaire. L'individualisme marchand des
cités cohabite avec des structures traditionnelles. Les tensions de
la cohabitation sont régulées par la loi. Les acteurs sociaux
endossent un rôle social. Ils sont régis par des instances
incarnées qui limitent la marge de manœuvre aussi bien dans
l'accaparement de la valeur concrète que dans la violence de la
valeur abstraite. Les acteurs sociaux n'ont pas prise sur la
définition de la légitimité ou seulement par le truchement de ces
instances.
Avant
Solon, la force faisait droit. L'aristocratie militaire
concentrait à elle seule la violence sociale. La violence
sociale s'incarnait dans une menace armée sur les corps, dans la
violence physique et dans la menace de la violence physique. Après
la révolution de Solon (594 avant Jésus-Christ) Athènes, les
organisations des nobles, les familles, perdent de leur pouvoir alors
que les villes s'enferment dans leur individualité. Les citoyens
reprennent les idéaux des anciens guerriers, des nobles : ils
méprisent le négoce et aspirent à être les meilleurs moralement.
La vie concrète et
la représentation de la vie s'autonomisent dans le champ du
symbolique à ce moment-là. La loi de Solon pose l'égalité
de tous les citoyens,
elle atteste l'influence de l'argent comme logique d'échange, elle
atteste la disparition des castes antérieures, elle atteste
l'universalisation du droit plus de deux mille ans avant les
Lumières. Les lois de Solon établissent la propriété, les bornes
sur les territoires et le droit des citoyens.
Ce
droit exclut :
-
les pélataï (πελάται,
manœuvres agricoles) qui vivent auprès d'un puissant
-
les hectemoroi (ἑκτήμοροι)
qui louent la terre qu'ils travaillent et défrichent.
L'archonte
grec Solon confronté à la crise va
-
abolir l'esclavage pour dettes
-
affranchir ceux qui sont tombés en esclavage pour dette
-
affranchir les terres des hectemoroi de toute redevance
-
refuser toute redistribution des terres réclamée par les pauvres
-
fonder le droit moderne, avec les jurys populaires et le droit de
défense et d'accusation
-
fonder les classes sur la fortune, le droit étant alors censitaire -
ces classes se substituent aux classes de sang, de naissance
Dès
la fin de la guerre du Péloponnèse et tout au long du IVe siècle,
les révoltes des prolétaires réclamaient la redistribution des
terres et l'abolition des dettes:
"αγη̃ς
α̉ναδασριός καὶ χρεω̃ α̉ποκοπή"
La
ligue de Corinthe se forma en 338 avant Jésus-Christ pour se
protéger de ces revendications de partage des richesses.
À
sa mort, Attale III (171 avant Jésus-Christ -133 avant
Jésus-Christ), dernier roi de Pergame, lègue son royaume à Rome.
La révolte sociale qui s'en suivit fut violemment réprimée.