Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

Fichier PDF ici

À nos amis,
à ceux qui ont trouvé
à ceux qui cherchent encore

Reformulation de l'équation de Fischer

À la lumière de nos critiques, nous pouvons réécrire l'équation de Fischer. Le Q, la « production », sera requalifié en (voir 2.10). Cette production est égale à la réalisation de la valeur ajoutée antérieure, soit, avec CM pour création monétaire, avec l'ensemble des taux rapporté à la valeur du PIB prise dans son ensemble :

(voir 2.19)

par ailleurs, si l'on considère la fonction de taux de dépense de la valeur ajoutée δ, on doit considérer, de la même façon, l'intégrale de sa dérivée dans le temps pour évaluer la somme des dépenses ( ) dans une durée de temps donnée :

(3.1)


Explications : l'ensemble de la masse monétaire multiplié par la vitesse de dépense de cette masse monétaire équivaut à l'ensemble des dépenses (l'intégration sur une donnée de temps donnée de la dérivée dans le temps de la fonction de dépense de capital – cette formulation signifie simplement qu'il faut additionner l'ensemble des dépenses sur une période donnée) multipliée par un coefficient qui intègre la création monétaire, soit

(3.1.1)

la masse monétaire antérieure augmentée de la création monétaire divisée par la masse monétaire antérieure. Ce coefficient est égal à un quand il n'y a pas de création de monnaie (la fonction δ porte alors sur la seule masse monétaire antérieure) et est augmentée en proportion de la création monétaire antérieure. L'expression (3.1.1) s'écrit indifféremment sous la forme reprise dans l'équation (3.1) en divisant les membres de l'addition séparément.

En isolant les prix dans l'équation de Fischer (3), nous avons :

(3.2)

soit en remplaçant les termes par les égalités (2.19) et (3.1)

(3.3)


En négligeant la portion de la valeur ajoutée dévolue au capital extrême dont la réalisation est faible ou nulle, en admettant que le taux de réalisation Tρ du salaire soit égal à un (que les salaires soient intégralement dépensés, comme nous l'avons démontré ci-dessus), il vient :

(3.4)

avec T(capital moyen) + T(salaire) = 1

Note 15. La création monétaire


On voit immédiatement pourquoi la création monétaire peut ne pas avoir d'effet sur les prix. Dans la mesure (comme nous l'avons envisagé dans notre équation) où la création monétaire est réalisée intégralement parce qu'elle est distribuée aux salaires, elle nourrit aussi bien le numérateur (la réalisation de valeur ajoutée) que le dénominateur (la création de valeur ajoutée) et est donc sans effet sur les prix.



Avec une création monétaire de 20 %, taux considérable s'il en est, on aura le numérateur multiplié par 1,2 et le dénominateur multiplié par … 1,2 si la réalisation de la création monétaire est de 100 %. Si la réalisation est de 0 %, le dénominateur n'augmente pas et les prix sont augmentés de 20 % ((3.4) avec T(capital moyen) = 0,2 (20%) et Tρ (capital moyen)=100 %).



On a

(3.4.1)




C'est-à-dire que ce le numérateur et le dénominateur sont tous les deux multipliés par 1,2 à condition que la monnaie créée soit intégralement réalisée, soit parce qu'elle est dévolue intégralement aux salaires, soit parce que la réalisation du capital moyen est de 100 %. Mais nous avons vu que les salaires étaient nécessairement intégralement réalisés contrairement à la rente. La création monétaire dévolue à la rente – au remboursement des créanciers, par exemple – est nécessairement inflationniste.



Si le capital ne se réalise pas et que l'argent créé est intégralement consacré au capital, on voit que, dans ce cas d'école, le numérateur est multiplié par 1,2 alors que le dénominateur ne change pas de valeur, ce qui correspond à une augmentation de P, des prix, de 20 %.



Pour le dire simplement, la création monétaire ne crée aucune inflation si elle est dépensée intégralement, si elle est consacrée à des salaires et crée par contre une inflation (et une inflation salariale) si elle n'est pas réalisée intégralement, notamment si elle est consacrée à la rente, à l'accumulation, à l'épargne inflationnistes. C'est ce qui explique pourquoi l'Assignat a été inflationniste alors qu'il était gagé sur les biens de l'Église nationalisés – il nourrissait l'accumulation des rentiers – alors que le Greenback qui n'était gagé sur rien du tout ne générait pas d'inflation puisqu'il était intégralement dévolu à des salaires rapidement dépensés.


Comme le taux de réalisation du capital moyen est inférieur à un, plus le taux du capital moyen sera élevé, plus les prix augmenteront. En d'autres termes, à dépenses constantes, à niveau de vie, à consommation de biens et de services inchangée, les prix doivent augmenter à partir du moment où



- une partie du PIB est dévolue à la rémunération du capital



- la réalisation de ce capital augmenté par la rente n'est pas intégrale.



En conséquence, dès le moment où un propriétaire des outils de production est rémunéré en tant que tel à titre lucratif, dès le moment où ce propriétaire ne dépense pas l'intégralité de ce qu'il a gagné, dès le moment où il y a accumulation dans les sphères dominantes de l'économie, les prix augmentent (et il s'agit, à toutes autres choses égales d'inflation salariale) et, avec cette augmentation, ils grippent la réalisation du capital, la part salariale du PIB et, partant, la pérennité du PIB lui-même, la production de valeur économique elle-même. Ce constat fait écho aux considérations de Karl Polanyi5 : la concentration excessive des moyens de production provoque l'effondrement économique et cette concentration est nécessairement liée à une politique de laisser-faire.




Proposition 23
La création monétaire dévolue aux salaires ne crée pas d'inflation salariale.
Proposition 24
La création monétaire dévolue à la rente crée de l'inflation salariale et génère des crises de surproduction.


Nos conclusions éclairent en tout cas à la fois la réussite des politiques keynésiennes et leur incapacité congénitale à dépasser les contradictions fondamentales du système capitaliste d'accumulation. Comme le keynésianisme relance les salaires, il diminue la part de la valeur ajoutée vampirisée par l'accumulation mortelle pour l'économie. En outre, l'augmentation des salaires – sous quelque forme que ce soit – désarme l'effet délétère de l'accumulation ε : les salaires en augmentation ouvrent de nouveaux marchés susceptibles d'absorber la part de la valeur ajoutée que l'épargne ε fait disparaître des cycles économiques. Ceci explique pourquoi, entre 1945 et 1973, alors que la part des salaires et la valeur ajoutée augmentaient, la production économique augmentait elle aussi et, par ailleurs, le taux de profit baissait substantiellement. Par contre, cela explique aussi pourquoi la guerre aux salaires à l’œuvre depuis 1973 a d'abord remonté le taux de profit avant que ce taux de profit ne reviennent à sa tendance à long terme à la baisse et que les crises économiques à répétition ne reviennent elles aussi avec l'accumulation et le défaut de réalisation de la valeur ajoutée6.



La politique keynésienne de relance par le salaire ne dépasse pas les contradictions inscrites dans le temps long. Les taux d'intérêt nourrissent les créances des uns et les dettes des autres, les actions rémunèrent des actionnaires qui ne dépensent pas tout (sauf à les imposer en intégralité, solution qui a été adoptée aux États-Unis un moment avec un succès indéniable), le taux de profit baisse à long terme et la structure organique du capital devient de plus en plus élevée.



Pour contrecarrer ces tendances mortifères à terme, il faut que l'intégralité du PIB soit consacrée au salaire. Si la rémunération du capital est abolie, cela implique que la propriété soit supprimée en tant que mode de rémunération, en tant que propriété lucrative. Cela n'implique rien quant à la légitimité de la propriété d'usage, quant à la propriété qui ne génère pas de revenu, de rémunération puisque les contradictions liées aux taux de réalisation des différentes formes de revenus n'affectent que la propriété en tant que source de plus-value, de gains financiers.



L'abolition de la propriété lucrative est une condition sine qua non pour pérenniser le système de production économique et la prospérité qu'il permet. L'accumulation (ε), consubstantielle à la propriété lucrative, pompe le numéraire, la valeur économique en circulation sous forme monétaire. À terme, si les entreprises ne trouvent pas de nouveaux marchés non capitalistes, de nouveaux marchés solvables extérieurs qui ne sont pas aux prises avec l'accumulation, le capital accumulé non réalisé manque à l'économie. Cela pousse au conflit armé, la disparition de la valeur des circuits économique amène à conquérir des marchés de manière forcée, à les rendre captifs et à délocaliser les contradictions économiques dans ces contrées.



À long terme, le corps social a alors le choix – pour parler comme Luxemburg – entre le socialisme, l'abolition de la propriété lucrative, et la barbarie, le capitalisme comme mode d'accumulation et d'organisation de la production, la guerre permanente de tous contre tous au milieu des ruines de la civilisation et de l'industrie. Les incantations répétées des gourous de la secte de la barbarie ne feront jamais l'impasse – elles n'ont jamais réussi à faire l'impasse – sur la pertinence de l'observation de cette contradiction. Le caractère inéluctable des contradictions de l'accumulation capitaliste ne doit pas nous égarer sur la nature profondément conjoncturelle, historique du capitalisme lui-même contrairement à ce que les thuriféraires de la barbarie tendent à assimiler à un ordre « naturel » quand ils proclament qu'il n'y a pas d'alternative, qu'il faut forcément payer ses dettes, qu'il y a des dettes illégitimes (et d'autres légitimes, sans doute). Parler de la sorte, c'est oublier le caractère pyramidal, c'est oublier le caractère spéculatif de Ponzi de l'économie de l'accumulation. La valeur ajoutée ne se réalise pas dans son intégralité et ce qui n'est pas réalisé devient créances sous des formes plus ou moins sophistiquées. Ces créances ruinent les plus pauvres et épuisent l'appareil productif puis la production elle-même sauf à délocaliser la violence économique dans un pays tiers, sur un marché captif qui assumera cet ε, cette part de la valeur ajoutée qui disparaît dans l'accumulation.


Proposition 25
La dette asservit les pauvres et détruit l'économie au profit d'une cleptocratie.


On notera que l'interdit de l'usure – très strict pour l'Église médiévale, pour Aristote7 ou pour l'islam – prévient les comportements économiques d'accumulation qui tuent à terme et l'économie productive et la prospérité générale. On se souviendra aussi des remises de dettes à intervalles réguliers dans l'Antiquité8. Les empires qui n'ont pas remis périodiquement les dettes, qui n'ont pas détruit périodiquement le ε ont été confrontés à l'effondrement de l'économie et à la paupérisation des masses (puis des possédants eux-mêmes), effondrement accompagné d'instabilité politique, de guerres civiles, etc9.



Note 16. Le protectionnisme et la concurrence



La mise en concurrence des différentes entreprises à travers le monde se traduit par une concurrence sur les prix. Nous avons vu dans la structure de la valeur ajoutée que la seule possibilité de baisser le prix d'une marchandise consiste à en baisser la rémunération salariale – en augmentant le taux d'exploitation (Plus-value/Salaires), en diminuant les salaires et en dégradant les conditions de travail. Un acteur économique qui baisse les salaires fait assurément une bonne affaire à condition que les autres entreprises avec lesquelles il est en concurrence ne fassent pas la même chose. Si les concurrents font tous la même chose au même moment, les acteurs économiques perdent des marchés à mesure que les salaires se contractent, les carnets de commandes se vident et une crise de surproduction se profile. C'est exactement le cas de figure actuel en Europe et, de manière à peine moins certaine, à l'échelle du monde entier. Les tentatives répétées de conquérir de nouveaux marchés par des traités léonins plus ou moins cataclysmiques ne changent rien à l'affaire : les nouveaux marchés sont également saturés et ils amènent également de nouveaux producteurs qui viendront écouler leur surproduction en Europe.



Face aux tentations de libre-échange pour substituer le ε de l'accumulation qui disparaît du PIB, de la valeur ajoutée, le politique peut aussi vouloir, au contraire, fermer les frontières. La fermeture des frontières veut empêcher le ε extérieur d'être réalisé à l'intérieur des frontières et l'ouverture des frontières veut exporter les contradictions du ε intérieur.



Dans un contexte de libre-échange, la concurrence sur les prix des marchandises peut pousser

- à la dévaluation monétaire compétitive – les salaires intérieurs sont alors artificiellement baissés en laissant couler la monnaie nationale

- à la déflation salariale directe – les salaires directs ou les cotisations sociales baissent, les prestations salariales diminuent ou sont assumées par le contribuable qui voit ses impôts augmenter

- à la destruction des droits sociaux – pour ne pas effrayer les investisseurs (dont nous avons prouvé qu'ils ne créent rigoureusement aucune valeur économique mais ils parasitent le processus de création de valeur économique)

- à la protection du capital de rente – pour attirer les investisseurs, cette politique augmente les prix des capitaux spéculatifs comme l'immobilier. L'augmentation des prix de l'immobilier diminue de fait les salaires réels.



Toutes ces politiques impulsées par le libre-échange et la libre-concurrence sont nécessairement des guerres au salaire – ce qui, nous l'avons vu, contracte le PIB et compromet l'économie sur le long terme.



La lassitude populaire qu'engendrent les souffrances générées par ces politiques de clochardisation du pays peut entraîner les élites dirigeantes dans une autre voie, celle du protectionnisme. Il nous faut insister d'emblée sur le caractère politiquement délicat du protectionnisme : les voisins, les partenaires commerciaux qui se débattent avec leur ε vont voir d'un mauvais œil la perte de débouchés. Des guerres ont déjà éclaté pour moins que cela. En outre, le protectionnisme peut rater son objectif si le pays cadenassé se débat avec son accumulation nationale, son ε, sans débouchés extérieurs pour l'écouler, pour remplacer le manque à gagner que cette accumulation représente pour le PIB. C'est précisément dans cette situation que risque de s'imposer la voie de la guerre.



Le protectionnisme ne résout pas les problèmes propres à l'accumulation capitalistique et amène d'autres problèmes : le risque d'une guerre. Il est vrai que, pour lever les contradictions de l'accumulation, on peut périodiquement détruire une partie du stock de valeur économique (par une guerre, par exemple, ou par une crise immobilière) ce qui assainit très provisoirement la dynamique de la création de valeur économique.



Face aux contradictions de l'ε, il faut résoudre le problème de l'accumulation. Il faut

- consacrer l'intégralité du PIB au salaires

- ôter à la propriété tout caractère vénal, lucratif.



Il est peut-être délicat de le faire à échelle régionale ou nationale dans un contexte de libre-échange mais l'absence de rémunération du capital rend la production salariale très compétitive en terme de coût. Par ailleurs, il est symptomatique que les pays dont les salaires (individuels et sociaux) sont les plus élevés ne sont pas nécessairement ceux où il y a le plus de chômage.



En tout état de cause, si, dans le cadre d'une politique favorable aux salaires, une taxe devait limiter la circulation de produits en provenance de l'étranger, il faudrait que cette taxe soit

- intégralement consacrée aux salaires

- perçue comme peu hostile par les partenaires commerciaux étrangers

- une source de résolution des sources de la contradiction ε des partenaires commerciaux (sans quoi, leurs propres contradictions les pousseront toujours sur le sentier de la guerre).



Pour ce faire, nous ne voyons qu'un seul type de protectionnisme envisageable, le protectionnisme amical (et il n'est pas certain qu'une pratique salariale de la valeur, qu'une économie libérée du joug de la propriété lucrative, doive y passer), celui d'une taxe intégralement reversée au pays partenaire commercial sous forme de salaire socialisé versé à ses travailleurs dans l'emploi ou hors de l'emploi. Un embryon de ce que pourrait être un protectionnisme amical existe déjà en Belgique avec la sécurité sociale d'outre-mer (OSSOM). Des travailleurs à l'étranger cotisent dans une caisse qui leur assure les mêmes prestations que celles de travailleurs sur le territoire national. Il suffirait d'en étendre l'usage aux non-nationaux.