Ce que nous appelons la prolétarisation du procès de production,
c'est la dépossession de l'outil de production et des connaissances
pour assurer sa propre production. Avec le fordisme, le travailleur
s'inscrit dans des processus de production pensés à l'avance. La
capacité de l’acte à épanouir le sujet au travail en emploi en
le soumettant à des problèmes qu'il peut résoudre est
définitivement obérée par la prolétarisation et par la
rationalisation du procès de production. La maximisation de
l'efficience productive correspond, à un certain stade du
capitalisme, à une désubjectivisation du travail. Quant aux modes
d'organisation ultérieurs du procès de production, ils accentuent
la massification de la production en portant la nécessité d'être
en conformité avec le principe de rendement au niveau du
fonctionnement de l'individu lui-même. C'est dire que le travailleur
intègre le principe de rendement dans son psychisme, dans son Moi,
pour pouvoir s'adapter à des modes de production industriels dans
lesquels il doit s'investir, tels le toyotisme ou le hondisme tels
que nous les avons décrits ci-dessus.
Le travailleur n'est plus alors sujet au travail mais objet du
travail. Il le justifie et le construit mais il en devient l'objet :
il est justifié et construit lui-même par le travail abstrait et
son emprise sur le travail concret. On représente d'ailleurs
l'emploi comme un objet indiscutable, tant au niveau de la légitimité
qu'au niveau de son organisation ou de ses conséquences
psychosociales, comme une donnée impondérable, « naturelle »,
les travailleurs sont des variables d'ajustement. L'objet-travailleur
doit s'adapter à l'emploi, à un symptôme du principe de rendement.
L'ajustement perpétuelle, l'adaptation permanente piègent les
traditions révolutionnaires ou émancipatrices dans un mouvement
sans sens, dans une course à la productivité et à l'image.
De la même façon, la consommation devient le sujet dont les
consommateurs sont les objets. C'est patent dans l'image de la
société que construit la publicité sans droit de réponse :
les consommateurs n'importent pas en tant que subjectivités
effectives, en tant qu'êtres pris dans des rapports de production
matériels, seule importe leur manière de consommer. C'est elle qui
les définit, qui en délimite le bonheur et la valeur sociale.
L'économie libidinale s'organise autour de l'image du
bonheur, de la légitimité ou de l'harmonie et non autour de ce
qu'elle met en scène. La prégnance de l'image dans l'économie des
affects et dans l'économie symbolique impose la figure de
l'imposteur comme paradigme14.
L'objectivation du sujet attaque frontalement l'idéal libéral.
Comment maximiser les talents, comment faciliter l'échange et le
commerce si les artisans, les producteurs ou même les acheteurs sont
transformés en rouages ? Comment l'idéal de Smith qui rejetait
la division du travail peut s'accommoder de la réification des
acteurs économiques ? Comment faire jouer la concurrence si le
mode de promotion de la marchandise s'apparente à de l'enfumage, de
la manipulation et du mensonge ? Comment, enfin, cultiver les
talents d'un producteurs dont le moi, dont la faculté de
singularisation est annihilée par la massification des affects et la
machinisation, la prolétarisation de la production ?
Ces tensions sont paradoxales au sens défini plus haut : la
culture libérale des talents les annihile, donc, ces talents sont
annihilés même si le cadre conceptuel spectaculaire de leur
annihilation prétend les développer. De la même façon, la liberté
est obérée par la prolétarisation. Dans ces deux cas, comme un
terme respectivement le talent et la liberté entraîne son contraire
respectivement la massification et la prolétarisation, les termes en
question ne peuvent être affirmés ; c'est leur négation qui
s'affirme. La liberté et le talent disparaissent dans ce qui les
condense et condamne à la fois, la massification et la
prolétarisation.
L'idéal, l'immatérialité d'un Moi de projet est rattrapé par la
matérialité des contraintes des rapports de production. Le projet
d'émancipation des contingences matérielles par le libéralisme,
son projet de libération de l'individu aboutit à la
prolétarisation, au déterminisme social strict. L'idéal du Moi, de
la Liberté entraînent leurs contradictoires dans le cadre de la
violence sociale capitaliste, le projet de s'extraire des
contingences matérielles les a hypertrophiées ce qui a prouvé le
caractère paradoxal du projet émancipateur auquel le capital
pouvait prétendre, le projet de se détacher, de se libérer de la
matière.
Proposition
174
Le
projet d'émancipation des contingences matérielles par le
progrès a échoué à cause du mode de production.
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