Sans épuiser la question, ces quelques considérations ébauchent
une explication de la complicité des exploités à leur exploitation
dans le cadre d’une utopie agissante, d’image sociale théorique
construite par des rapports de production. Nous ne voulons pas
culpabiliser qui que ce soit20,
nous cherchons à comprendre – avec nos modestes moyens –
pourquoi des gens victimes de la moins-value de consommation
soutiennent, approuvent un système économique qui les gruge alors
qu'ils ne sont pas masochistes, ni stupides, ni fous. Les éléments
de confort, d'espoir captieux d'ascension sociale individuelle ou de
conformisme ébauchent l'explication d'un comportement social en
apparence incohérent. En amont, la plus-value de consommation
définit une classe sociale qui est parfois victime, parfois
bénéficiaire de la violence sociale d'un système économique.
Cette classe sociale que nous définissons comme la petite
bourgeoisie – en termes marxistes – ou comme la classe moyenne –
en termes vulgaires – est prise dans des intérêts personnels
multiples, divergents et antagoniques.
Proposition
63
La
petite-bourgeoise ou la classe moyenne est la part du prolétariat
qui tire profit de la plus-value de consommation.
Proposition
64
La
petit-bourgeoisie ou la classe moyenne est la part de la
bourgeoisie qui est contrainte de vendre sa force de travail
abstrait.
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Pour reprendre l'exemple de notre boulanger, il peut effectuer
d'autres échanges commerciaux au moyen de son argent. Il peut
acheter des biens et des services en rémunérant le travail horaire
à un taux moindre que le sien. C'est le cas des matières premières
du tiers monde, de tous les biens et matières premières issus des
sweat shops : le textile, le pétrole, le bois, les
jouets, l'électronique, les télé-services, l'alimentaire … La
quasi totalité des biens de consommation est concernée :
l'électricité est extraite de l'uranium africain ; le bétail
d'Europe est nourri de protéines issues de l'agriculture argentine
ou brésilienne ; la métallurgie extrait ses matières
premières d'Afrique et d'Amérique latine. Le boulanger, harassé de
travail, profite néanmoins de l'exploitation dont il est victime.
Renoncer au capitalisme, c'est, pour beaucoup, renoncer à un confort
parfois sommaire, à l'accès à des matières premières ou à des
biens manufacturés pour ainsi dire gratuits, c'est se condamner à
une marginalité sociale et à une gène matérielle – sauf à être
propriétaire lucratif. La menace qui pèse sur le niveau de vie
catalyse les désirs sociaux et les structure comme réaction à un
siège. La peur, l'affectif, l'angoisse deviennent alors les ressorts
privilégiés de la petite bourgeoisie dont le train de vie pourtant
misérable, pourtant lié à sa complicité de l'exploitation de
l'homme par l'homme, est menacé par les crises perpétuelles du
capital sur lesquelles il n'a aucune prise. Son impuissance pousse à
la frustration, à la colère, à la rancœur, aux regrets : sa
vie ne correspond pas à ce qu'il aurait fallu qu'elle fût. Tout se
passe comme dans un pacte avec le diable : on perd son âme et
on gagne un confort somme toute souvent assez sommaire.
Proposition
65
La
petite-bourgeoisie subit un appauvrissement de soi du fait de
l'appartenance à la bourgeoisie et de
l'appartenance au prolétariat.
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Les petits bourgeois sont à la fois pleinement des bourgeois,
soucieux de leur niveau de vie et de leurs privilèges, soucieux de
leur réussite professionnelle individuelle et des prolétaires,
contraints de vendre leur force de travail sans être propriétaires
de l'outil de production, soumis aux feux de l'exil de la
prolétarisation du faire et d'être social. Les biens et les
services s'accumulent sans lien avec la quantité de travail vendue
chez les petits bourgeois. Le faire est intégralement géré par
l'argent, il n'existe pas de lien direct entre le travail concret et
la réalisation du capital encaissé à cette occasion. Le
petit-bourgeois client se trouve dans un monde où les biens et les
services existent sans lien avec les conditions de production, avec
le faire ou la prolétarisation de leur procès de production. Le
client ne regarde pas le comment, il évolue dans le monde
unidimensionnel cher à Marcuse21
du combien. L'acte du travail concret est devenu radicalement
indépendant du produit qu'il permet d'acquérir par la funeste magie
de l'échange et de l'argent.