Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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La prospérité



Nous avons réfléchi sur les bases matérielles et sur les fondements métaphysique de l'économie. La richesse économique est différente de la richesse d'usage. Si la richesse d'usage est créée par un travail concret, par un rapport de transformation du travailleur avec l'environnement, avec le monde, la richesse économique est liée à la violence des rapports de production. Cette valeur économique – équivalent de la valeur ajoutée – est créée finalement par les salaires, par ce qu'on nomme le travail abstrait. C'est l'ensemble des salaires qui crée la valeur économique. Nous parlons bien de valeur économique et non de valeur d'usage. Ils peuvent aussi bien être le fait de salaires directs, que de salaires socialisés, de prestations sociales (socialisation par la cotisation sociale) ou de salaires des fonctionnaires (socialisation par l'impôt).

Le processus de création de valeur économique est finalement lié aux seuls salaires parce que les salaires – quelles qu'en soient les formes – sont intégralement dépensés et, en étant dépensés, deviennent de la valeur économique, alimentent la valeur économique à venir et permettent à la production industrielle, à la production concrète de se vendre comme valeur économique.

Les salaires sous toutes leurs formes créent la valeur économique mais en marge de ce processus de création de valeur économique, la rente parasite l'économie abstraite en prélevant une partie de la valeur économique produite. La rente ne dépense qu'une partie de ce qu'elle accumule. À long terme, elle accumule à l'infini et, étant rémunérée sur base des intérêts de son principal, de son capital, ponctionne toujours plus fort la machine économique. Ce faisant, la rente doit augmenter le taux de profit, c'est-à-dire le taux d'exploitation. Le taux d'exploitation, c'est la marge bénéficiaire divisée par les salaires (dans la marge bénéficiaire, on inclut aussi bien les dividendes, la rente que les investissements puisque les titres de propriété de ces investissements demeurent la propriété des rentiers). Pour augmenter le taux d'exploitation, la rente va diminuer les salaires (socialisés et individualisés) et augmenter le temps de travail en emploi, dégrader les conditions de travail, la sécurité.

Du fait de la concurrence, les calculs individuels des rentiers s'annulent. Les gains de productivité, l'accumulation sous la forme de machines, d'outils de production ou de propriété intellectuelle sont absorbés par la diminution des prix sous la pression de la concurrence. La concurrence organise la compétition à mort des producteurs entre eux via les prix. Ce qui est mis en concurrence, ce sont les salaires individuels, la partie du prix correspondant à la valeur produite par les fonctionnaires et la partie du prix produite par les salariés sociaux, les retraités, les vacanciers, les chômeurs ou les invalides.

En sapant les salaires, la rente tue l'organisme économique qu'elle parasite puisque, faute de salaires (quelle qu'en soit la forme), il n'y a plus de création de valeur économique. Par ailleurs, comme la logique du profit des rentiers s'universalise, le mode de production économique s'uniformise. L'industrie impose l'industrie, la fabrique impose la fabrique, l'usine impose l'usine, le management scientifique de la production et des producteurs s'impose de la même façon. Les entreprises qui n'adoptent pas les innovations technologiques de la concurrence disparaissent puisqu'elles ne peuvent plus aligner leurs prix.


De manière plus inquiétante encore, le travail concret est menacé par l'emploi, par la pratique de la forme légitime d'activité économique. Dans l'emploi, nous l'avons vu, les interactions individuelles avec la nature sont soumises à la nécessité de faire du profit. La demande de plus-value de l'actionnaire détermine le type d'activité, son organisation et elle gère l'outil de production en fonction de son seul profit. Dans le cadre de l'emploi, à mesure que le fordisme s'étend à tous les secteurs productifs, le médical, l'éducation ou la culture, par exemple, l'acte productif de ces différents secteurs ne permet plus la singularisation du sujet. La clinique et la pédagie sont remplacées par le protocole. C'est contre la logique de l'emploi que les intermittents défendent leur talent, que les chômeurs défendent leur temps, leur présence à l'autre, que les médecins défendent leur science et leur fonction sociale, les infirmières leur soin ou les pompiers leur courage. Pour bien faire les choses, pour les faire efficacement, il faut forcément s'extraire du principe de rentabilité financière. Quand la rentabilité financière touche un secteur productif – que ce soit les journaux écrits, l'éducation ou les transports en commun – on constate que l'impératif du lucre diminue les salaires et le temps de travail, qu'il compromet les conditions de travail et les normes de sécurité et que, ce faisant, le travail abstrait, économique, compromet le travail concret. Les trains privés deviennent dangereux, ils arrivent en retard, les bâtiments deviennent l'objet de contrefaçons, les productions artistiques commerciales ont un goût de déjà-vu. L'emploi menace la qualité du travail concret et la qualification du producteur. La pratique consciencieuse d'un travail concret est devenue en soi un acte de résistance à la nécessité de profit.

La qualité des prestations professionnelles est obérée par cette logique de profit, de lucre. Les médecins alignent des certificats sans soigner, les aides-malades maltraitent les personnes âgées, les majors hollywoodiennes se répètent sans trêve, le courrier met trois jours pour arriver, les trains tombent en panne parce que la société qui loue les voitures n'est pas celle qui exploite le réseau ou le transport des voyageurs. Tout devient impossible. Les choses les plus simples telles que mener une scolarité ambitieuse deviennent hors de prix, ce sont des gageures tant le prix des tickets d'entrée est devenu exorbitant.

En compromettant les fondements du travail concret, c'est la prospérité générale qui tremble sur ses bases à cause du système de propriété lucrative. Tout a un prix, toute marchandise enrichit un actionnaire et exploite un travailleur mais la qualité intrinsèque des marchandises disparaît dans l'obsolescence programmée1, dans le clinquant, le tape à l’œil, dans le gadget mal fichu.