Résumé
des développements mathématiques du chapitre
Nous
introduisons un nouveau concept, la plus-value de consommation. Il
s'agit d'évaluer ce qu'on gagne (ou, de manière négative ce
qu’on perd) comme temps de travail abstrait à acquérir un bien
quelconque. Pour ce faire, nous comparons la rémunération
horaire du travail abstrait du vendeur et de l'acheteur-salarié.
Si un cadre bien payé achète des produits à des agriculteurs
mal payés, il gagne ce faisant une plus-value de consommation,
il gagne du temps et de l'argent par rapport à une production
qu'il aurait effectuée lui-même à son tarif horaire.
Les
rapports marchands reflètent une injustice sociale, des rapports
de violence sociale que la pseudo objectivité du prix, que la
naturalisation de la loi de l'offre et de la demande s'obstinent à
masquer. Ces rapports détermine une classe sociale qui gagne
parfois à acheter et qui parfois y perd. Cette classe sociale –
la petite bourgeoisie en terme marxiste ou la classe moyenne en
terme libéral – se trouve prise dans des rapports
d'exploitation dont elle est tour à tour victime (plus ou moins
consentante) et bénéficiaire (plus ou moins consentante).
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À ce stade de l'étude de la consommation, il nous faut comprendre
ce qui attire et fascine dans la consommation. On peut certes
mentionner les techniques de marketing13,
la manipulation mentale de la publicité mais, pour reprendre une
idée chère à Götz Aly14,
les pires régimes ne sont soutenus que parce que une partie
majoritaire de la population y trouve matériellement son
compte15.
On s'en persuadera en écoutant les discours de stigmatisation des
politiciens en quête de voix faciles : ils dénoncent des
minorités dominées et exemptent les majorités dominantes. De la
même façon, la consommation tient parce qu'une majorité de la
population y trouve son compte malgré tout. Si nous voulons
comprendre le phénomène de la consommation, il nous faut comprendre
en quoi cette majorité trouve son compte dans la pratique de la
consommation. Cette majorité n'est pas constituée que des plus
riches, les pauvres aussi trouvent un certain intérêt à ce système
alors même qu'ils sont dominés.
Pour comprendre la consommation, revenons au concept de classe
sociale. Nous nous inscrivons en faux par rapport à une littérature
politique qui confond les classes sociales avec une liste d'individus
dotés de telle ou telle caractéristique sociale. Au contraire, à
la suite de Marx, nous définirons les classes sociales comme des
rapports de production. Nous avons défini la propriété lucrative,
la propriété des moyens de production qui parasite le processus de
création de valeur économique par les salaires. Les salariés (en
emploi ou hors emploi) créent la valeur économique en tant que
salariés, ils créent la valeur économique par le travail abstrait.
Les rentiers parasitent ce processus de création de valeur
économique en prélevant une rente qu'ils ne réalisent pas et qui
s'accumulent. Les salariés ne sont pas propriétaires des moyens de
production et ils en sont les usagers alors que les rentiers sont
propriétaires des moyens de production dont ils ne sont pas les
usagers.
L’appartenance à telle ou telle classe sociale n’épuise pas la
subjectivité de l’agent social. La classe sociale est un aspect de
l’être, un aspect fondamental dans ses relations avec la chose
économique, mais, pour autant, il y a toujours un reste
irréductible, une partie de l’être qui n’est pas spécifiquement
liée à la violence sociale. Les agents décrits ici ne sont donc
pas des personnes mais des images sociales qui constituent des agents
archétypaux. Ces images fonctionnent comme des idéaux agissant sans
lieu. L’être social pur, réductible dans son identité et dans
son être à l’agent social n’existe pas mais tout agent social
subit d’une façon ou d’une autre la pression de la conformation
à cette image utopique, sans lieu. De la même façon qu’un athée
décrirait la religion comme « une foi en quelque chose qui
n’existe pas, foi qui a des effets tangibles », nous
décrirons l’utopie de l’être capitaliste comme « quelque
chose qui n’existe pas de manière pure dans une incarnation mais
quelque chose qui fait pression en tant qu’image sur les agents
sociaux ». À ce titre, les images sociales dont nous parlons
ci-dessous (le bourgeois, le petit-bourgeois, le prolétaire, le
consommateur, le producteur, etc.) ne s’incarnent pas dans des
figures pures sans reste mais elles agissent en tant que modèle, en
tant qu’archétypes sociaux. L’adhésion sociale impose des
sacrifices de conformation sans jamais parvenir à supprimer le
hiatus entre les personnages sociaux issus de rapports de production
et leurs incarnations. Les rapports de production ont tendance à
générer des traits de fonctionnement, ils construisent une vision
du monde liée à des intérêts spécifiques. Mais les individus qui
constituent le corps social ne se réduisent jamais à ces traits de
fonctionnement, à ces spécificités psycho-sociale. C’est
pourquoi, quand nous parlons de personnalité sociale, de personnage,
que ce soit dans le cadre de la petite-bourgeoisie, des traits
psychiques des agents sociaux ou de perspective historique
subjective, il s’agit bien d’utopies agissante, d’idées sans
lieu, sans incarnation, de forces sociales qui traversent les agents
sociaux.
Les rapports de production définissent deux classes aux intérêts
opposés : les rentiers, les bourgeois en termes
marxistes, possèdent les outils de production, doivent augmenter le
taux d'exploitation pour augmenter leurs revenus, ils décident ce
qui est produit et dans quelles conditions et sont détenteurs des
droits à déterminer qui va toucher quels salaires liés aux postes
de travail ou à la force de travail alors que les salariés, les
prolétaires en termes marxistes sont contraints de
vendre leur travail abstrait et, pour ce faire, doivent soumettre ce
travail abstrait à la prestation d'un travail concret régit par des
rentiers. Ils sont les usagers des outils de production, ils les
financent par la valeur créée à l'occasion de leur travail
abstrait mais ne décident pas de la nature du travail concret dans
le cadre de leur travail abstrait ou de l'affectation des outils de
travail qu'ils paient.
Marx avait donc défini ces deux classes comme rapports de
production. Nous éclairons ces rapports de production à la lumière
de nos réflexions sur la valeur économique mais, en examinant les
choses du point de vue de la consommation, nous pouvons dégager une
troisième classe qui recoupe les deux classes marxiennes, la classe
des consommateurs. Pour comprendre cette classe, il faut voir qu'un
rapport de production ne sépare pas nécessairement des individus en
des listes étanches. On peut être tenus par plusieurs rapports de
production différents. Un ouvrier peut être actionnaire, une femme
d'origine bourgeoise (au sens marxiste, donc) peut, suite à la
maladie ou à une mésalliance, être contrainte de vendre sa force
de travail, etc. Les rapports de classe – nous y insistons – ne
définissent pas des clans étanches : ils sont antagoniques
mais pas incompatibles. Un individu peut s'inscrire simultanément
dans plusieurs rapport de classes antagoniques. Fort du constat de la
possibilité d'ubiquité sociale de l'agent économique, nous pouvons
réfléchir à ce qui se passe, en terme de rapports de production,
dans la consommation.
Prenons un exemple, si un enseignant contraint de vendre sa force de
travail (un prolétaire en termes marxiens, donc) se rend chez un
boulanger (un prolétaire également, sauf s'il est propriétaire de
sa boulangerie et qu'il a des employés), il peut faire une
intéressante opération. En négligeant les consommations
intermédiaires dans notre exemple, mettons qu'il faille une heure à
l'enseignant pour pétrir et cuire ses trois pains hebdomadaires,
s'il se rend chez le boulanger, il va acquérir les pains (en leur
ôtant la valeur de la farine) pour, disons, trois euros,
c'est-à-dire un 500e de son salaire mensuel. En admettant
que cet enseignant travaille 150 heures par mois (c'est un vieil
enseignant qui ne prépare plus beaucoup ses cours), cela représente
l'équivalent le travail abstrait lié à 20 minutes de travail
concret, de salaire pour l'enseignant. L'enseignant a gagné 40
minutes en allant acheter du pain. Mais ces 40 minutes peuvent être
imputées à la spécialisation de la production, à la division du
travail, à la mécanisation, aux économies d'échelle, c'est-à-dire
à « C », à l'accumulation de capital sous forme de
capital fixe, d'outil de production, sous toutes ses formes.
Pour comprendre les rapports de production à l’œuvre dans cet
acte de consommation, il nous faut examiner ce qui se passe chez le
boulanger. Il faudra tenir compte de ses investissements, de son
degré de mécanisation, du fait qu'il utilise ou non des apprentis
payés au lance-pierre, etc. Mais, en tout état de cause, on peut
imaginer un boulanger dont
- le travail abstrait horaire du boulanger est moindre que celui de
l'enseignant : le boulanger est alors perdant relativement
dans
la transaction. Plus il vend du pain à l'enseignant, plus il
s'appauvrit par rapport
à
l'enseignant. En terme de pouvoir de consommation, il réalise les
pains dans un quantum de temps supérieur au quantum de temps que
l'enseignant utilise comme base du travail abstrait à l'origine du
prix. Dans notre exemple fictif, le train de vie du professeur domine
celui du boulanger, le professeur peut acquérir davantage de
marchandises à prix ou vendre moins de temps de travail. Le travail
abstrait de l'enseignant est supérieur au travail abstrait du
boulanger et la consommation révèle, incarne cette
inégalité de rapports de production.
-
le travail abstrait horaire du boulanger est supérieur à celui de
l'enseignant : il
est
alors gagnant relativement dans
la transaction. Plus il vend du pain à l'enseignant, plus il
s'enrichit par rapport
à
l'enseignant. C'est là aussi la consommation qui incarne, qui révèle
cette inégalité de rapport de production.
Le mode inégalitaire de la rémunération, l'inégalité du travail
abstrait révélée dans la consommation amène d’inévitables
frustrations : comment admettre que des gens doivent prester
moins de temps de travail pour gagner autant ou doivent en prester
autant pour gagner davantage ? Cette frustration se pose pour
l'entièreté du corps social, prolétaire (ou bourgeois). Les
patrons font valoir le fait qu'ils travaillent dur pour gagner leur
argent (la pénibilité du travail concret tente de justifier
moralement l'injustice du travail abstrait) ou qu'ils ne gagnent pas
tant que ça, qu'il y a des patrons mieux payés (l'injustice du
travail abstrait, ils en sont aussi victimes). Pour stériles que
soient ces discours d’auto-victimisation, ils se retrouvent à tous
les échelons du corps social. Notre boulanger peut les tenir aussi
bien que notre enseignant, un chômeur peut les tenir aussi bien
qu'un journaliste-star.
Nous nommerons la plus-value réalisée à l'occasion de la
consommation par le consommateur, la plus-value de consommation.
Cette plus-value est une moins-value pour l'autre partie impliquée
dans la consommation. Nous entendons bien que la consommation est un
processus complexe mettant en œuvre beaucoup d'acteurs différents
mais, pour chacun d'eux, à l'occasion de chaque acte de
consommation, on peut dégager cette plus-value de consommation.
Concrètement, si nous reprenons notre exemple (un peu simpliste) de
l'enseignant qui achète son pain – en négligeant la farine qui
ferait l'objet d'une analyse de la plus-value de consommation
distincte – nous pouvons dégager une valeur monétaire à la
plus-value de consommation.
Imaginons
un boulanger qui travaille 200 heures par mois pour un salaire net de
1400€, soit 7€ de salaire net horaire16.
L'enseignant gagne 1800€ par mois (c'est un vieil enseignant, nous
l'avons dit, il est en fin de carrière) pour 150 heures de travail
par mois, soit un salaire horaire de 12€. La plus-value de
l'enseignant pour les 15 minutes de salaire que sont les 3€ du prix
du pain (hors farine), c'est ce qu'il touche lui pendant ces 15
minutes moins ce que touche le boulanger pendant ces 15 minutes, soit
12/4 – 7/4€ = 1,25€, soit, en taux par rapport à la dépense
totale, 1,25/3 = 42 % de plus-value de consommation pour
l'enseignant. Une bonne opération sur base de nos chiffres fictifs.
Quant au boulanger, sa moins-value de consommation sera égale à ce
qu'il gagne pendant le temps qu'il lui faut effectivement pour
réaliser le pain (facturé 3€ à raison de 7€ de l'heure, il lui
aura fallu 25 minutes pour le faire – nos chiffres sont fictifs,
rappelons-le, ils sont là pour illustrer la notion de plus-value de
consommation), pendant ces 25 minutes, il aura gagné 3€ alors que,
dans le même temps, l'enseignant aurait gagné 5€. La moins-value
du boulanger est de 2€, soit, en proportion, un taux de moins-value
de 67 %.
De manière générale, nous aurons
(6.3)
(6.4)
si le temps de consommation est plus élevé que le temps de
production, cette plus-value de consommation est une moins-value
de consommation (avec la même valeur). Quant au taux de plus-value,
il est égal à cette plus-value divisée par la somme d'argent sur
laquelle elle est réalisée, par le prix. Dans le prix se retrouvent
aussi bien les cotisations, les impôts que les consommations
intermédiaires étrangères à l'échange commercial analysé.
(6.5)
(6.6)
si le temps de production est plus élevé que le temps de
consommation, cette plus-value de production est une moins-value
de production (avec la même valeur). De même :
(6.7)
Derrière ces concepts un peu abscons, il y a l'idée que certaines
consommation enrichissent ceux qui s'y adonnent et d'autres
consommations qui les appauvrissent. Les gadgets électroniques ou
l'alimentation enrichissent typiquement les consommateurs puisque les
producteurs sont notoirement sous-payés dans ces secteurs – encore
faut-il distinguer les niveaux de production, certaines parties de la
production peuvent être dommageables au consommateur – et,
inversement, certaines consommations appauvrissent les consommateurs
telles les produits culturels, les programmes informatiques, etc.
Mais, si l'on considère le corps social dans son ensemble, les
agents sociaux gagnent tous à un moment donné à
consommer et les agents sociaux perdent tous à un
moment donné à
consommer. Néanmoins, en dépit de son caractère ambivalent, la
consommation demeure un ciment de la société, la capacité à
consommer est la force centripète du corps social. Pour comprendre
comment des agents sociaux, régulièrement victimes d'une
moins-value de consommation, continuent à adhérer à un ordre
économique, il nous faut revenir aux notions de production concrète
et de production abstraite.
Proposition
59
En
consommant, certains gagnent du temps et de l'argent. Ils font une
plus-value de consommation.
Proposition
60
Du
fait de la division du travail et du développement des outils de
production, tous les agents économiques réalisent une plus-value
de consommation à un moment donné.
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