Voyons comment s'organisent ces deux acceptions très différentes du
travail.
Il faut distinguer le travail et l'emploi. Ce sont deux choses qui
n'ont rien à voir: l'emploi organise le travail de sorte que les
propriétaires de l'outil de production, de l'usine, de la compagnie,
du bureau empochent des bénéfices alors que le travail implique
toutes les activités de la vie, de la production économique, de la
société – en ce compris l'emploi. L'emploi est nécessairement
lié à un travail mais le travail peut prendre beaucoup de formes
différentes.
L'emploi
est la convention capitaliste du travail pour Bernard Friot2.
Selon lui, l'emploi fonctionne selon quatre principes.
1. La propriété lucrative
permet aux actionnaires de toucher légalement les fruits du travail
d'autrui, de gérer les investissements, de décider de la
production, du mode et de l'organisation de cette production.
La propriété lucrative,
c'est le droit de propriété sur les fruits
de
l'activité, sur les bénéfices d'une propriété. La propriété
lucrative de l'usine permet d'en toucher les dividendes, la propriété
lucrative de l'appartement permet d'en toucher les loyers de
manière parfaitement légale.
2. Le temps est la référence
de la rémunération, c'est lui qui fonde la valeur des choses
produites.
Le temps de travail nécessaire
à la production est l'une des composantes essentielles de son prix.
Il y en a d'autres, nous le verrons. Le salaire lié à l'emploi est
payé à l'heure de travail prestée et l'ensemble du temps de
travail presté pour produire une marchandise est intégré dans son
prix.
3. Le crédit privé avec des
intérêts contraint à un remboursement sans fin tous les acteurs
économiques. La pression de la dette se répercute sur les employés.
L'invention du crédit privé
avec intérêt ne va pas de soi. Le prêt sans intérêt permet
également de financer l'activité mais, surtout, ce que Friot
appelle la cotisation investissement, la partie des cotisations
destinée à financer les acquisitions d'outils de production au sens
large (y compris la recherche et le développement) constitue une
alternative financière déjà-là, parfaitement viable.
4. Le marché de l'emploi: la
force de travail est une marchandise comme une autre. Elle doit
ajuster son prix (le salaire) à l'offre et à la demande. Le travail
est organisé selon le mode de la foire aux bestiaux, de la vente à
la criée et non en fonction des besoins collectifs.
Nous
définirons l'emploi comme le mode d'organisation de
l'activité humaine dans lequel deux contractants signent un contrat
entre parties asymétriques:
- L'employeur achète de la
marchandise-emploi. Il investit du capital pour ce faire et entend en
retirer du bénéfice.
- L'employé vend de la
marchandise emploi. Il est contraint par l'aiguillon de la nécessité
(dans la version libérale) ou par l'accaparement des ressources
(dans la version anarchiste) ou encore par la prolétarisation, par
la dépossession de l'outil de production (dans la version marxiste).
Le
contrat d'emploi organise le travail selon des modalités
particulières, c'est un mode de travail particulier. Comme il faut
être productif, comme il faut produire plus de valeur par unité de
temps, le producteur doit aller vite ; comme il faut produire de
la valeur, le producteur ne doit pas faire des choses utiles,
agréables, valorisantes ou belles mais des choses qui créent de la
valeur. Ceci implique, notamment, la mise à l'encan de tout sens
éthique dans le cadre d'une activité inscrite dans le cadre de
l'emploi. Comme la tâche n'est pas effectuée pour elle-même mais
dans un but extérieur, l'emploi fonde une espèce de totalitarisme,
une utilisation du temps humain à d'autres fins que lui-même, une
utilisation de l'activité, du corps, des affects ou des
qualifications à d'autres fins qu'eux-mêmes.
Cette
organisation particulière de l'activité humaine n'est pas une
fatalité, elle n'est pas la plus productive. Elle utilise, elle
'emploie' les capacités, la créativité humaines à des fins non
humaines, à des fins vénales.