Armés
de ce tableau clinique grossièrement esquissé, nous pouvons voir le
lien entre l'emploi et la dépendance. L'emploi est une façon
particulière d'organiser le travail. Le travail, c'est l'ensemble
des actes que pose le sujet pour transformer le monde, pour l'adapter
à son humanité, à sa singularité, à ses besoins. Un travail dans
un cadre positif renforce la puissance du sujet renforce le système
de production de dopamine et renforce ses récepteurs puisque chaque
initiative est susceptible de provoquer un retour affectivement
positif.
L'emploi
moderne ne permet plus de retour positif ou, quand il le permet, les
retours positifs sont attribués de manière aléatoire et non en
fonction des actes posés. Le management post-fordiste organise la
concurrence de tous contre tous de manière permanente. Jamais, une
victoire ne signifie un repos, jamais une tâche ne signifie le
plaisir du devoir accompli car, le lendemain, l'heure d'après,
Sisyphe revient et impose sa remise en concours perpétuelle. Par
ailleurs, ce ne sont pas les actes réussis qui sont récompensés,
c'est le fait d'être meilleur - c'est-à-dire plus rapide ou plus
soumis - que les autres.
De
même, l'amour, la collaboration, le fait de pouvoir faire appel au
dévouement, à la confiance, à l'amitié d'autrui dans l'acte de
travail stimule l'ocytocine.
L'emploi
ne permet pas d'incarner le désir dans l'acte mais qu'il se borne à
soumettre l'acte à une logique extérieure (celle du profit
éventuellement incarné par un patron ou un contre-maître, mais ce
n'est pas nécessaire) et qu'il s'organise par la concurrence de tous
contre tous, la production de ocytocine n'est plus non plus à
l’œuvre dans l'acte.
Comme
l'emploi est une vente de temps contrainte par l'aiguillon de la
nécessité, les employés surmenés (ou les workaholiques) manquent
de temps, de ressources psychiques pour développer des relations
affectives intimes, désintéressées. Ceci compromet non seulement
la production d'ocytocine de l'employé mais aussi celle de ses
proches, de ses enfants. Ces enfants seront alors des êtres privés
de système endocrinien performant, ce qui les mettra à la merci de
comportements addictifs.
Mais
la vente du temps dans l'emploi impose la productivité dans le temps
vécu et l'extension du temps travaillé. Il s'agit de produire
davantage dans le même laps de temps, il s'agit de gagner en
compétitivité. Comme tous les employés sont soumis à la même
logique criminelle, les gains sont nuls en terme de valeur
économique. Il y a pire. Le stress permanent auquel sont soumis les
employés pour arriver à répondre aux exigences contradictoires du
management détruit leur système endocrinien avec les conséquences
que nous avons décrites: dépression, hyperactivité, dépendance,
troubles obsessionnels compulsifs.
Parallèlement,
les double binds, les doubles contraintes empêchent le
travail en emploi de ressembler de près ou de loin à une quelconque
réalisation de soi. La double contrainte, c'est quand il faut faire
une chose et son contraire: il faut être rapide et bien faire
le travail; il faut obéir à l'encadrement et faire preuve
d'initiative et de créativité; il faut être fidèle à
l'entreprise, l'aimer et l'entreprise ne fait de sentiment,
"on est là pour gagner de l'argent".
Les
doubles contraintes fragilisent la santé mentale des employés alors
que les frustrations et les impossibilités de l'emploi les placent
en situation de développer des addictions.
Fragilisés,
isolés, coincés entre la contrainte de la nécessité, l'envie de
reconnaissance et le délitement de la société, les employés
deviennent alors de la chair à profit et sombrent dans un mutisme
gris que - suprême supplice - ils transmettent malgré eux aux gens
qu'ils aiment.