Ahmed Nafeez résume une étude de la NASA dans un article du
Guardian qui a fait pas mal de bruit2 .
Cette étude lie concentration des richesses, pillage des ressources
et effondrement des civilisations.
Pour résumer (nous traduisons les citations mises en exergue
ci-dessous) ladite étude:
La chute de l'Empire Romain et des empires tout aussi avancés - si
ce n'est plus - des Han, des Maurya ou des Gupta, ainsi que l'empire
Mésopotamien, atteste le fait que les civilisations complexes et
créatives peuvent être fragiles et disparaître.
L'étude identifie les facteurs les plus importants corrélés au
déclin de civilisation: la population, le climat, l'eau,
l'agriculture et l'énergie.
Note
18. Le pic pétrolier
Selon
certaines informations bien étayées, l'ère du pétrole arrive à
sa fin3.
L'extraction de cette forme d'énergie l'épuise sans qu'elle ne se
renouvelle.
Sans
nous prononcer sur la pertinence des scénarios du 'pic pétrolier'
ou même de la fin du pétrole, sans nous engager sur un calendrier
de la chose, nous allons examiner les conséquences possibles sur
l'économie et, particulièrement, sur la part des salaires dans la
production de valeur économique - si un plan B était trouvé pour
remplacer le poisseux liquide comme source d'énergie, nous aurons
simplement perdu un peu de temps en conjectures, par contre, si le
scénario de la fin du pétrole devait se vérifier, il serait bon
d'anticiper les choses du point de vue qui nous préoccupe: la
pérennité de la production économique (et donc, comme nous l'avons
prouvé, l'importance relative des salaires dans la valeur ajoutée).
Le
pétrole concentre l'énergie à très haute dose. Il est utilisé
dans l'agriculture, la (pétro)chimie ou les transports. Du point de
vue de l'économie productive, il a pris une place de choix dans les
transports, la production d'énergie électrique, le chauffage,
l'agriculture.
Agriculture
La
fin du pétrole signifie la fin de l'agriculture industrielle. Sans
pétrole, plus de gros tracteurs, plus de grosses
moissonneuses-batteuses, plus d'engrais ou d'insecticide non plus
puisque ces produits sont issus du pétrole.
Les
rendements agricoles, la production agricole risquent de s'effondrer
en cas de disparition du pétrole. Cet effondrement ne sera pas
accompagné d'un effondrement de la demande, des besoins
alimentaires.
Pour
accompagner la fin du pétrole sans dégât, les exploitations
agricoles devront nécessairement diminuer de taille, elles devront
se multiplier et devront recourir à des techniques agricoles sans
pétrole (genre permaculture) à rendement élevés. Ces techniques
existent. Faute de cette adaptation, les populations sont condamnées
à la disette à côté de terres géantes en friche comme les
Anglais au XVIIIe4
ou les Brésiliens d'aujourd'hui. Ce problème est fondamentalement
politique, ce n'est pas un problème d'argent ni de possibilités
techniques.
Au
niveau de l'emploi, il est clair que ces politiques de transition
agricole, si elles sont adoptées - et il faut espérer qu'elles le
soient pour qu'on puisse continuer à manger - comme après les
grandes épidémies au moyen-âge, l'augmentation de la demande de
main d’œuvre changera le rapport de force sur le marché de
l'emploi. Les employés seront rares, recherchés, demandés alors
que les employeurs auront un besoin impératif d'investir dans
l'emploi. Par ailleurs, le prix, la valeur ajoutée produite par le
secteur va exploser (les prix agricoles augmenteront). L'augmentation
des prix agricoles imposera une répartition des richesses produites
faute de quoi, la disette menacera la majorité de la population.
Dans une situation de famine presque générale, la productivité
s'effondre et, avec elle, la société telle que nous la connaissons.
On ne voit pas alors ce qui garantirait quelque propriété que ce
soit.
Par
contre, si l'augmentation des prix agricoles est accompagnée d'une
distribution de la richesse, elle peut être indolore pour les
producteurs et synonyme de demande d'emplois patronale.
Le
devenir de l'agriculture est donc un enjeu éminemment politique du
point de vue des producteurs. De la lutte, du rapport de force que
les producteurs seront capables d'induire ou non, sur lequel ils
surferont ou non, dépend la prospérité commune générale, dépend
la forme de civilisation, de société qui peut émerger de la fin du
pétrole.
Les
transports et l'industrie
Le
secteur va complètement changer. Sans pétrole, sans énergie de
substitution (c'est-à-dire dans le cas de figure que nous examinons
ici), le secteur s'anémie. Plus de flux tendu, plus de cargo, plus
de trente-nuit tonnes, plus de délocalisation, du coup, plus de
division extrême du travail.
La
relocalisation de l'économie offre une opportunité a priori,
celle de limiter drastiquement le cadre de la concurrence. Or, on
pourrait croire que moins il y a de la concurrence, plus les
producteurs peuvent s'affranchir de l'obsession de l'emploi, du
chantage à l'emploi et peuvent récupérer du salaire. Cette idée
n'est vraie que si le rapport de force entre propriétaires et
producteurs impose un cadre légal, une limite à la propriété
lucrative. Ce rapport de force n'est absolument pas évident au
niveau local, il faut l'établir - comme la société du transport
gratuit impose de l'établir au niveau mondial. Pour un employeur, il
a été possible d'opposer les travailleurs de Verviers et d'Eupen,
des bourgades distantes de quelques kilomètres, comme il oppose
aujourd'hui les travailleurs du Bangladesh et de Picardie5.
C'est
dire que la fin du pétrole ne signifie pas la fin de l'emploi ou
l'avènement du salaire. Elle représente à coup sûr une
opportunité pour les producteurs dont les bras deviennent précieux
et peu délocalisables, elle constitue aussi un danger pour les
consommateurs, pour les populations, pour les besoins humains. Ce
danger peut servir d'aiguillon de la nécessité, il peut contraindre
les producteurs à accepter l'inacceptable sous la menace de la faim.
Ces facteurs peuvent amener à l'effondrement quand ils se combinent
à deux traits sociaux:
La
tension sur les ressources liée à la pression sur la capacité
écologique [et] la polarisation économique de la société en élite
d'un côté et masse de l'autre. [Ce phénomène social] a joué un
rôle central dans le processus d'effondrement ces derniers cinq
mille ans.
Aujourd'hui, l'extrême polarisation sociale est liée au pillage des
ressources:
... les surplus accumulés ne
sont redistribués dans la société mais sont contrôlés par une
élite. La masse de la population qui produit la richesse n'en reçoit
qu'une petite partie (...) juste au-dessus du seuil de subsistance.
Mais, selon l'étude, la technologie ne résoudra pas ces problèmes
en augmentant l'efficacité de la production.
Les
changements technologiques peuvent augmenter l'efficacité de
l'utilisation des ressources mais elle augmente aussi la consommation
de ressources par personne de telle sorte que, outre les effets
politiques, l'augmentation de la consommation compense souvent
l'amélioration de l'efficacité de l'utilisation des ressources.
Si l'on suit ces modélisations de civilisations effondrées,
l'effondrement de notre propre civilisation semble difficile à
éviter. Les civilisations paraissent
... être durables pendant
longtemps mais, même avec un taux d'épuisement optimum et en
partant d'un nombre très restreint d'élites, les élites finissent
par consommer trop, ce qui provoque une famine dans les masses, cause
de l'effondrement de la société. Il faut noter que ce type
d'effondrement de Type-L est provoqué par une inégalité qui induit
une famine qui fait disparaître les travailleurs plutôt que par un
effondrement naturel.
Un autre scénario met l'accent sur le rôle de l'exploitation
continue des ressources et fait émerger le fait que avec une
accélération de l'épuisement des ressources, le déclin des masses
se produit plus rapidement alors que les élites prospèrent encore
mais elles les suivent dans leur disparition.
Dans les deux scénarios, les élites ne subissent les dégâts de
l'effondrement écologique qu'après les masses. Elles continuent le
business as usual malgré la catastrophe pendante - ce fut
notamment le cas chez les Romains et les Mayas.
Ces scénarios catastrophe ne sont pas inévitables. Des changements
politiques structurels peuvent stabiliser la civilisation et en
empêcher l'effondrement. Pour les auteurs de l'étude, il faut
réduire les inégalités économique pour garantir une distribution
plus juste des ressources et il faut réduire massivement la
consommation en s'appuyant sur des ressources renouvelables et en
stabilisant la population, ce qui s'obtient efficacement en assurant
aux gens un avenir économique garanti.
En tout cas, comme Polanyi en son temps, cette étude de la NASA lie
l'accumulation à l'infini des élites, la concentration des moyens
de production et l'effondrement de l'économie productive, ce qui va
dans le sens de nos propres découvertes relatives au salaire et à
l'accumulation : une accumulation à long terme n'est pas
soutenable pour l'économie productive ; l'économie productive
tient tant qu'elle trouve des marchés extérieurs pour réaliser la
plus-value accumulée et s'effondre quand elle n'en trouve plus ;
plus la part des (bas) salaires intégralement dépensés est élevée,
plus l'effondrement économique est repoussé ; si les salaires
intègrent l'ensemble du PIB, la perspective de l'effondrement
s'éloigne parce qu'il n'y a plus d'accumulation, il n'y a plus de
valeur ajoutée non réalisée.