Quand
on examine le travail concret, les motivations de l'acte concret, on
peut en distinguer deux types sans considération pour la violence
sociale, pour la valeur économique, pour le travail abstrait.
Quand elle étudie l'activité humaine, Hannah Arendt distingue
l'animal laborans et l'homo faber3.
L'animal laborans, c'est le tâcheron qui refait le même
ouvrage, organique, répétitif et vital inlassablement - nous
respirons tous à peu près vingt-cinq fois par minute tout le long
d'une existence. Ce type de travail concret est consubstantiel à la
vie, il lui est lié du fait de la nature humaine (je parlais de la
respiration), mammifère, animale ou vivante de l'être humain. Il
n'est par pour autant nécessairement pénible. Nous ne
pouvons guère faire l'impasse sur ce type d'activité. Par contre,
nous pouvons les délocaliser, en faire supporter la charge par
autrui. C'est le ménage assumé par des femmes dont l'existence
demeure dans l'ombre, c'est le travail domestique des esclaves puis
des employés, ce sont les poubelles ramassées par un personnel
sous-payé, méprisé, ce sont les prostituées qui assument les
tâches les plus ingrates, les plus pénibles et les plus
fondamentales qui soient.
L'homo faber, est l'artisan qui réalise, qui invente, qui
crée, et ce, quel que soit son domaine de travail, qu'il soit
concret ou abstrait, matériel ou immatériel, humain ou mécanique.
Pour lui, la notion de 'travail' n'est pas une torture, n'en déplaise
à l'hypothèse étymologique la plus répandue4.
Le travail lui permet de se réaliser, de devenir, de transformer le
monde, il est constructeur d'une fierté, d'une identité ou d'une
qualification. On pourrait nommer la chose ouvrage (mais l'ouvrage
implique l’œuvre, ce qui n'est pas nécessairement le cas du
travail de l'homo faber) ou labeur (mais il s'agit alors d'un
travail paysan sans rapport avec la richesse potentielle des tâches
et de leurs implications affectives et sociales). Paradoxalement,
seule cette forme de travail était prisée par les Grecs, c'était
la seule à laquelle pouvaient s'adonner sans s'aliéner leur
noblesse.