Définition
Ensemble de techniques pour gérer la main d’œuvre afin d'en extraire un maximum de profit. Le management entend maximiser la production de valeur ajoutée par unité de temps par les producteurs.
Cette course à la productivité est un jeu de dupe à l'échelle macro-économique puisque les gains de productivité de nouvelles techniques managériales sont détruites par le principe de la concurrence. Au départ, une innovation managériale permet à l'entreprise de se mettre au-dessus de la concurrence et d'augmenter ses dividendes. Mais, dans un second temps, les autres acteurs économiques adaptent les mêmes pratiques de gestion du personnel et obtiennent les mêmes gains de productivité horaire. La concurrence oblige les producteurs à baisser leurs prix ce qui finalement annule les gains de productivité des nouvelles pratiques managériales. Ce qui était au départ pensé pour augmenter les marges devient une obligation de survie face à la concurrence économique.
Pratiques
Les pratiques managériales sont de plusieurs types.
- La mécanisation et la division du travail rendent les tâches plus répétitives et leur exécution plus rapides. C’est ce qu’on nomme le taylorisme. À terme, il sape le moral des travailleurs puisqu'il leur reconnaît peu de qualification et peu de perspective de créativité professionnelle. À l'époque, Ford avait dû consentir de gros salaires à ses ouvriers pour éviter qu'ils ne fuient le travail à la chaîne abrutissant. Les salaires sont devenus un outil de management, un moyen d’individualiser la notion de performance, de punir ou de récompenser la main d’œuvre, de la gérer. La mécanisation avait d'emblée suscité des mouvements de résistance – que l'on songe au luddisme en Grande-Bretagne ou aux Canuts en France qui avaient cassé les machines qui les condamnaient au chômage et à la misère. Outre la misère que provoquait la machine, c'est la question de l'individuation dans le travail que les machines menaçait. La tâche intelligente, adroite de l'artisan est remplacée par une série d'actes répétés, sans intérêts qui doivent être exécutés aussi rapidement que possible. Alors que l’artisan pensait l’acte, l’ouvrier doit l’exécuter après Taylor. Les mouvements anti-machine défendaient l'excellence, le savoir-faire de l'artisan et le plaisir de la belle ouvrage.
- L'implication dans le procès de production des ouvriers a constitué une petite révolution. Les travailleurs émettent des suggestions pour améliorer la chaîne, pour la rendre plus efficace. L'ergonomie et le feed-back font leur entrée dans le management.
- La gestion par projet, par liste de choses à faire, en finit avec les contre-maîtres. L'équipe se voit attribuer des objectifs de production et gère elle-même ses techniques de travail et son cadre de travail pour y arriver. La pression de l'équipe se fait alors sentir sur les personnes malades, enceintes ou moins efficaces sans que l'encadrement doive se salir les mains.
- Les employés sont impliqués affectivement dans la vie de l'entreprise. Ils doivent en quelque sorte adhérer, 'aimer' leur entreprise (qui n'est pas une personne douée d'affect mais une machine à valeur détenue par des propriétaires lucratifs). Ce sont alors des événements d'entreprise, des week-end aventures pour cadre, des concerts, des soirées-entreprises voire des crèches ou des clubs de rencontre pour employés. L'identité de l'entreprise (factice et spectaculaire par définition puisque l'entreprise n'est pas une personne) doit devenir celle de l'employé. C'est le patron 'cool' de la start-up ou la participation obligée à des compétitions sportives. C'est le genre de pratiques en œuvre dans ce que Haefliger1 appelle le loft management.
- L'individualisation des salaires et des statuts professionnels isole les producteurs, morcelle le collectif de productif. Il faut bien distinguer l'individualisation qui isole les individus les uns des autres, qui les transforment en atomes sans interaction de l'individuation qui est l'ensemble des processus de devenir impliquant aussi bien l'individu que son environnement. Dans le premier cas, l'individu se bat contre son environnement, dans le second, il devient du fait de son environnement, avec lui.
- Le management par la haine sape systématiquement les qualifications des employés. Il minimise leur réalisation, oppose les employés entre eux dans une course au meilleur, attribue des enveloppes fixes de récompenses aux meilleurs – c'est-à-dire aux plus obséquieux, aux plus serviles. Il ne s'agit pas d'être bon, performant, convainquant ou efficace mais d'être meilleur que les autres. C'est l'ouvrier du mois, l'employé du mois, c'est aussi la tyrannie permanente de l'évaluation. Ce type de management ne peut fonctionner qu'avec un chômage de masse parce qu'il épuise rapidement les employés, les pousse à prester des heures supplémentaires gratuites - sans que ce travail supplémentaire ne soit jamais sanctionné par une récompense définitive. Ce management utilise les techniques de manipulations mentales suivantes :
- opposition des employés entre eux
- précarisation des emplois, recours à la peur, à l'angoisse, à la menace
- individualisation des salaires, recours aux primes aux 'meilleurs' et faiblesse du salaire fixe garanti
- turn-over permanent: le personnel est remplacé en permanence, c'est l'obsolescence programmée des travailleurs; l'entreprise demande un engagement sans qu'elle ne s'engage à rien
- ce que nous appellerons l'obligation du salaud: l'entreprise force les employés à prendre des décisions immorales dans le cadre de leur emploi ce qui les rend complices de décisions qu'ils n'approuvent pas. Cette technique fait perdre les repères aux sujets les plus équilibrés, les rend manipulables et fragiles. Leurs désirs deviennent flous, leur moi s'anémie.
- le benchmarking consiste à comparer les performances des différentes équipes mises en concurrence, le but est d'induire une compétition permanente et de saper l'entraide, la solidarité entre les travailleurs.
Toutes ces techniques de management sont extrêmement dommageables à la santé des employés (quels que soient leurs niveaux de qualification et de rémunération). Elles coûtent une fortune à la sécurité sociale et aux intéressés. Elles permettent à l'entreprise de se défausser d'une partie de ses responsabilités dans les gains de productivité sur la collectivité, d'externaliser ses frais.
Les modèles de production, taylorisme, fordisme, toyotisme et hondisme
Taylorisme
Le développement du cadre économique productif a industrialisé les modes de production par le biais de la mise en concurrence des produits et a divisé la société en classes définies par des rapports de production spécifiques.
L'action réalisatrice d'un ouvrage est socialisée par l'outil de production. Si un artisan peut utiliser des techniques ou des horaires propres pour réaliser un ouvrage commandé par le marché, s'il peut adapter le rythme de son travail à ses besoins sociaux ou à son état physique ou psychique, l'omniprésence de la machine et de ses règles rigides impose au producteur sa cadence et sa logique propres. Il ne s'agit pas alors d'une technique dans laquelle le sujet peut investir une quelconque créativité, il s'agit d'une machine conçue pour produire de la valeur ajoutée le plus rapidement possible dans un système de concurrence, c'est-à-dire une machine qui ne souffre pas d'autre objectif que celui-là, qui maximise la plus-value horaire du travail vivant.
Le producteur adapte sa production à la variété de la demande et à sa solvabilité. Le modèle tayloriste
prédétermine les tâches à accomplir [...] par l'établissement de modes opératoires à suivre, et de temps alloués à respecter, définis par les intéressés par un service spécialisé2.En conséquence, les actes posés par le travailleur sont réfléchis à l'avance et sont pensés pour maximiser leur rapidité. Au moment où le travailleur pose ces actes, il ne doit plus les penser - fût-ce pour en maximiser la productivité en terme de valeur.
Le travail à la chaîne implique
un temps uniforme à chaque poste de travail [...] et une longueur de pas identique. [...] Il faut que les opérateurs aient à chaque poste de travail un nombre d'opérations dont le temps et l'espace d'exécution [...] se rapprochent le plus possible du temps de cycle et de la longueur du "pas"3.
La quantification marchande du temps affecte tous les instants de la production du travailleur. Tous les mouvements, tous les gestes et, dans les modèles productifs plus récents, tous les affects du travailleur sont calibrés au moment où il travaille en fonction de sa productivité horaire. Le travail ne peut donc plus singulariser, il incarne une logique sociale sur laquelle ni le travailleur, ni même d'ailleurs l'employeur, n'ont prise. Cette logique sociale est déconnectée de la sensibilité particulière des travailleurs, des consommateurs ou des investisseurs.
Fordisme
Cette tendance s'accentue dans le modèle fordiste dans lequel l'organisation productive est
fortement centralisée, séquentiellement intégrée en ligne continue, mécanisée et cadencée, fondée sur la prédétermination et la standardisation d'opérations élémentaires distribuées entre les postes de travail de manière indépendante et indifférenciée pour saturer le temps du cycle 4.
Dans ce modèle productif, le travailleur est intéressé à une partie des bénéfices sans que son rendement personnel soit directement déterminant. Il s'agit aussi bien de pouvoir écouler les marchandises produites en soutenant les salaires des producteurs que d'éviter que, rebutés par les tâches répétitives et déqualifiées, les travailleurs ne s'en aillent ailleurs.
Toyotisme et Hondisme
Dans ces modèles de production plus individualisés, le travailleur est intéressé au niveau salarial au rendement de son travail. Il doit intérioriser la logique productiviste pour maximiser son propre gain horaire. Il devient complice actif et finalement toujours malheureux de son exploitation.
Dans le modèle toyotiste,
la relation salariale incite les salariés et les fournisseurs à contribuer à la réduction des coûts: les premiers par un système de salaire qui fait dépendre [les] montants mensuels de la réduction des temps au sein de chaque équipe, et les seconds par l'engagement d'une réduction pluriannuelle des coûts5.Dans le modèle hondiste,
la relation salariale valorise l'expertise et l'initiative individuelles, tant au niveau du recrutement, de la formation, du salaire que de la promotion, afin de susciter au sein de l'entreprise l'émergence d'innovateurs et de développer la capacité à changer rapidement d'activité6.La créativité du travail elle-même est alors liée à une évaluation individuelle permanente et doit toujours in fine maximiser la rentabilité lucrative du travail. L'intériorisation de la logique de la plus-value dans les traits les plus personnels de la personne, dans sa créativité, dans sa capacité à innover, dissout ces traits de personnalité dans la logique économique.
Évaluation
L'évaluation est le mode de management ultime puisqu'il légitime et naturalise aussi bien la rémunération que les rapports qui la sous-tendent. Dans les managements traditionnels, l'évaluation est le fait de supérieurs hiérarchiques, dans des versions plus perverses, on demande à l'employé, sous la pression du chantage de la misère du chômage, à produire un discours d'évaluation conforme à ce qu'il pense que son employeur attend.
1Voir S. Haefliger, La tentation du loft management, in Le Monde diplomatique, mai 2004.
2Boyer, Freyssenet, Les Modèles productifs, La Découverte, 2000, p. 44.
3Ibidem, p. 54.
4Ibidem, p. 61.
5Ibidem, p. 87.
6Ibidem, p. 100.