Cet article est disponible en pdf ici
Valeur
ajoutée
Proposition
1
La
valeur ajoutée fait l'objet d'une lutte de classe entre les
rentiers et les producteurs
|
La valeur économique, la valeur abstraite, cadre la production de
tout ce dont la valeur est hiérarchisée par la violence sociale.
Nous nous situons exclusivement dans le cadre de la valeur
économique, sans considération pour la valeur effective des choses,
des productions, du fruit du labeur humain. Ce n'est pas que ces
considérations n'aient pas d'importance, c'est que la valeur ajoutée
n'intègre pas ces points de vue dans sa définition, dans son
fonctionnement.
Nous avons une valeur économique qui évolue comme suit dans le
processus de production du fait de l'emploi. Au départ, nous avons
des frais et, à l'arrivé, un prix de vente auquel le marché
valorisera le bien ou le service. Par exemple, un pain à 2,4€
intègre le prix de la farine (0,6€), la location et les charges de
la boulangerie (0,2€).
(2.1)
P-F=VA
La
différence entre le prix d'arrivée (P), 2,4€ dans notre exemple,
et les consommations intermédiaires, 0,8€ dans notre exemple, ce
qu'il faut acheter pour produire les marchandises (F) constitue la
valeur ajoutée créée par les producteurs (VA), soit 1,6€ dans
l'exemple. Ou pour le dire autrement:
(2.2)
P=F+VA
Le
prix agglomère les consommations intermédiaires et la valeur
ajoutée (salaires, investissements et dividende). Si la valeur
ajoutée augmente, les prix augmentent – si les salaires augmentent
beaucoup, les prix augmentent un peu ou si les matières première
augmentent, par suite d'une sécheresse ou de pillages industriels,
les prix augmentent – il y a alors inflation.
En France, on peut évaluer l'ensemble des prix à quelque chose
comme 10.000 milliards € alors que la somme des valeurs ajoutées,
le PIB, fait à peu près 2.000 milliards €. En admettant ces
estimations grossières, les consommations intermédiaires
interviennent pour 80% du prix en moyenne dans l'Hexagone.
Les composants de la valeur ajoutée
La valeur ajoutée elle-même se répartit entre différents postes:
- Les salaires (S)
- Les investissements (I)
- Les dividendes (D)
(2.3.)
Les
salaires sont eux-mêmes constitués de salaires individuels bruts et
de leurs impôts
et de salaires socialisés bruts et de leurs impôts. Pour continuer
avec le pain, on peut imaginer, sur une valeur ajoutée de 1,6€ de
valeur ajoutée, 1,2€ pour les salaires des employés, 0,2€ pour
les investissements et 0,2€ pour les dividendes.
Les salaires socialisés sont les cotisations sociales, aussi bien
'patronales' que 'employés'. La différence entre les deux est
purement politique. En fait, qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre,
on a affaire à un salaire social, à un acquis conquis par les
salariés et non à une propriété des employeurs. La distinction a
permis de légitimer la présence patronale dans les organismes de
gestion de cette cotisation sociale. Ils n'ont évidemment rien à y
faire puisqu'il s'agit, répétons-le, d'un salaire.
- Les investissements ne sont théoriquement pas imposés.
- Les dividendes peuvent prendre plein de formes différentes. Le
taux d'intérêt d'un emprunt est une forme de rétribution d'un
propriétaire lucratif, c'est donc un dividende. De même, les
rémunérations des actionnaires ou les produits dérivés, bancaires
de tous types.
La partie imposée de la valeur ajoutée est répartie en deux
postes : le poste 'fonctionnaires' - ils réalisent la valeur
ajoutée qui leur est attribuée et un poste 'remboursement de la
dette' qui part, lui, dans les poches des propriétaires lucratifs.
L'équilibre entre les différents postes au sein de la valeur
ajoutée est ce que Marx appelait la 'guerre des classes', entre
producteurs, prolétaires parce que non propriétaires de leur outil
de travail, parce qu'obligés de vendre leur force de travail et les
propriétaires en question.
Austérité, salaire et valeur
Prix : 100 €
Consommations intermédiaires 80 € |
Valeur ajoutée 20 € |
C.I. 80 € |
Investissements
5 € |
Dividendes
5 € |
Salaires socialisés 5 € |
Sal. individ. 5 € |
Voir (1) |
|
Les salaires sociaux
disparaissent au profit des dividendes au nom de la compétitivité |
C.I. 80 € |
Investissements
5 € |
Dividendes 10 € |
Sal. ind. 5 € |
Voir (2) |
|
Sous la pression du
chômage, les salaires individuels se réduisent fortement |
C.I. 80 € |
Investissements
5 € |
Dividendes 12 € |
S.I.
3 € |
Voir (3) |
La demande baisse, les
prix baissent sous la pression de la concurrence |
|
C.I. 64 € |
Inv, 4 € |
Dividendes 4 € |
S.I.
3 € |
|
|
Prix : 75 €
Fig.
1
Explications
du
dessin:
(1)
C'est la structure de la valeur ajoutée telle que nous l'avons
connue. Une partie part en profit (dividendes et investissement) et
une partie part en salaire (socialisés et directs).
(2)
Depuis quarante ans, les salaires socialisés et les impôts, les
salaires des fonctionnaires, sont régulièrement sapés, diminués,
marginalisés avec l'étonnante complicité des syndicats. Cette
diminution ne profite absolument pas aux salaires individuels, aux
salaires directs ni aux investissements: ce sont les dividendes qui
ont augmenté.
(3)
La diminution des salaires socialisés a permis d'embaucher les
nouveaux travailleurs avec des conditions de travail dégradées,
avec des salaires directs amoindris. La diminution de la masse
salariale globale n'a pas profité aux investissements mais
exclusivement aux dividendes, une fois encore.
(4)
Mais les entreprises sont soumises à une concurrence acharnée. Les
clients-travailleurs sont rincés puisque les salaires directs et
socialisés ont diminué. Les entreprises doivent donc réduire leur
prix si elles ne veulent pas disparaître. La baisse des prix diminue
les dividendes et, une fois que les prix sont baissés (disons d'un
quart), les consommations intermédiaires et les investissements sont
eux aussi diminués puisque les prix des marchandises achetées comme
investissements ou comme consommations intermédiaires ont baissé
globalement.
Proposition
2
L'austérité
diminue la valeur ajoutée et les salaires.
Proposition
3
La
baisse des salaires provoque une crise de surproduction.
|
La baisse générale des prix est ce qu'on appelle une déflation.
C'est une catastrophe économique qui fait exploser le chômage et
les dettes. Il n’y a plus d’acheteur : comme les salaires
baissent en valeur absolue et en proportion dans la valeur ajoutée,
les salariés-clients compriment leurs dépenses faute de revenu, ce
qui, au niveau macro-économique, effondre la demande. Le PIB, la
somme de toutes les valeurs ajoutées nationales, diminue. Les
carnets de commande des entreprises demeurent vides puisque les
clients n'ont plus de salaire à dépenser. Face à l'absence de
commande, les entreprises vont licencier leur personnel et accentuer
les effets cycliques : comme le faisait remarquer Frédéric
Lordon,
les entreprises embauchent quand elles ont un carnet de commande, pas
quand elles ont de l'argent.
Note 1. le PIB
Le
PIB est l'ensemble de la valeur ajoutée créée à l'échelle d'un
pays. La valeur ajoutée intègre la valeur créée par n'importe
quelle activité économique, qu'il s'agisse de drogue, d'industrie
du loisir, qu'il s'agisse d'industrie ou de services. Le PIB omet
d'intégrer les dégâts causés par la création de valeur
économique à la valeur d'usage. Si une entreprise empoisonne une
riante vallée pour produire de la valeur, la seule mesure du PIB
n'intégrera que la cette production de valeur économique sans tenir
compte des coûts environnementaux et humains de cette production. En
tant qu'indicateur économique, le PIB est donc à prendre avec
énormément de précautions. Récemment, d'ailleurs, pour gommer les
effets dépressifs des politiques d'austérité en gonflant
artificiellement le PIB, sa mesure a été modifiée : aux
États-Unis, on a considéré la recherche et le développement comme
des investissements (alors qu’ils avaient été considérés comme
des dépenses intermédiaires) et, en Europe, l'économie illégale
est en passe d'être intégrée dans le calcul du PIB.
Mais
la notion de PIB a ceci d'intéressant qu'elle concentre la réflexion
sur la production de valeur et non sur la production de biens et de
services. On notera, par exemple, que, depuis la fin de la seconde
guerre mondiale, l'agriculture européenne a pour ainsi dire disparu
comme productrice de PIB alors que, quantitativement (mais pas
qualitativement, nous sommes bien d'accord), elle a augmenté ses
volumes.
Cette
façon de voir les choses ouvre une brèche pour évaluer la valeur
ajoutée créée hors emploi (par salaires socialisés ou par
qualification à la personne) et pour dévaloriser ce qui est produit
en masse, à bas prix.
Effets de l'austérité sur les composants de la valeur ajoutée
Le taux de profit du capital augmente dans un premier temps mais,
pour la plupart des entreprises, c'est finalement la ruine qui les
attend puisque, faute de clients, les dettes s'entassent, les
machines rouillent et l'usine compte les pluies.
Au final, si l'on définit le taux de profit comme le rapport entre
les dividendes et les capitaux investis, on a
(2.4)
Taux de profit=Dividendes/Consommations
Intermédiaires+Investissements+Salaires
Cette équation appliquée à la fig. 1 donne comme résultat 6% au
début du processus décrit par le dessin et ... 6% à la fin. Dans
cette situation de guerre contre les salaires, il n'y a donc pas eu,
finalement, d'augmentation du taux de profit.
Par contre, la structure organique du capital est modifiée par la
rigueur, l'austérité – ou la déflation salariale.
La
structure organique du capital est le rapport entre le capital fixe
(les investissements) et le capital vivant (les salaires - socialisés
ou individuels). Sur la fig. 1, ce rapport passe de 0,5 à 1,33. Les
investissements en capital fixe, en machines, en équipements
deviennent déterminants face à la concurrence alors que
l'importance relative des salaires baisse. La course à l'équipement
sans travailleur pose un problème économique majeur: ce sont les
salariés qui remplissent finalement le carnet de commande or la
déflation salariale comprime immanquablement, à plus ou moins long
terme, la demande.
Note
2. le taux de profit (Marx résumé par Mylène Gaulard, 2014)
Avec
Pl, la plus-value, C, le capital fixe (les machines, les outils de
production mais aussi les patentes ou les stocks) et V, le capital
variable (les salaires), le taux de profit est défini comme :
(2.5)
En
divisant les termes par V, le capital variable (ce que nous appelons
les salaires), il vient
(2.6)
en
simplifiant V/V par 1, en définissant Pl/V (la plus-value divisée
par les salaires)
comme le taux d'exploitation et en définissant C/V (l'ensemble de la
capitalisation divisée par les seuls salaires)
comme la composition organique du capital, nous avons
(2.7)
Avec
l'accumulation progressive du capital fixe C, la composition
organique du capital augmente (les salaires y deviennent marginaux),
c'est-à-dire que, pour maintenir un taux de profit constant, il faut
augmenter le taux d'exploitation – augmenter les heures
supplémentaires gratuites et la durée de la journée de travail,
diminuer les salaires, les salaires socialisés et les jours chômés.
Comme le taux de réalisation ρ (voir ci-dessous) des salaires est
supérieur, la déflation salariale qui découle de la nécessité du
maintien du taux de profit est mortelle pour le PIB lui-même, pour
l'ensemble de la valeur ajoutée à terme. C'est cette contradiction
qui éclate périodiquement sous forme de crise – nous y
reviendrons.
Les salaires sont diminués relativement par rapport aux
investissements. Pour produire, il faut relativement de plus en plus
investir pour pouvoir écouler une production meilleure marché, sans
salaire, sans travailleurs.
La valeur ajoutée par unité de temps
Résumé
des développements mathématiques du chapitre
La
valeur ajoutée est consacrée pour partie aux salaires, pour
partie à la rente. La partie consacrée aux salaires est
intégralement dépensée sur un temps long alors que la partie
consacrée à la rente s'accumule indéfiniment. Comme la
production de valeur ajoutée est égale à ce qui est dépensé
par les clients, la partie de la valeur ajoutée consacrée à la
rente, peu et mal dépensée, menace à terme la production de
valeur économique.
Proposition
4
Les
salaires sont intégralement dépensés.
Proposition
5
La
rente n'est pas intégralement dépensée et s'accumule à
l'infini.
|
L'activité économique produit de la valeur ajoutée. Selon la
théorie marxiste, c'est le travail qui crée tous les biens, tous
les services qui cristallisent la valeur économique. Nous viendrons
à une conclusion légèrement différente : in fine, ce
sont non pas les emplois ou la réalisation de travail concret qui
créent la valeur économique mais le travail abstrait reconnu par le
salaire. Ce sont les salaires qui créent la valeur économique, ce
sont eux qui reconnaissent et font reconnaître la valeur économique,
la violence sociale des rapports de production. Le travail concret
(aussi bien celui des employés que celui des chômeurs, des
retraités, des vacanciers, des parents, des invalides ou des
fonctionnaires) crée les valeurs d'usage, éventuellement
négatives ; le travail abstrait qu'atteste le salaire sous ses
différentes formes crée les valeurs économiques, toujours
positives.
Pour arriver à cette conclusion assez décalée par rapport aux
écoles classiques, keynésienne ou marxiste, nous avons dû procéder
à une analyse de la valeur ajoutée. Au terme de cette analyse, nous
voyons que le salaire crée la valeur économique et que la rente
accapare la valeur économique créée à l'occasion du procès de
production dans une accumulation qui obère aussi bien la machine
économique que le processus de création de valeur économique
lui-même.
Nous avons commencé par définir une fonction ρ,
la valeur réalisée. Au terme du processus de création de valeur
ajoutée par le travail abstrait, la nouvelle valeur ajoutée créée
peut s'incarner de différentes façons. Soit le récipiendaire –
quel qu'il soit et quelle que soit sa légitimité à capter la
partie de la valeur ajoutée créée – réalise son capital, soit
il le thésaurise. La réalisation du capital se fait toujours sous
forme de dépense, d'acquisition de biens ou de services issus du
travail humain alors que la thésaurisation se fait sous forme
d'épargne, d'investissement dans des produits financiers,
assurantiel, etc. De toute façon, nous considérerons les cycles sur
un temps long, un temps dans lequel les crédits se perdent dans la
masse des revenus, dans lequel l'épargne se réalise dans un produit
de consommation exceptionnel tel une maison ou un véhicule. Sur un
temps long, donc, le capital s'accumule en thésaurisations de toutes
sortes ou se réalise en acquisitions matérielles de toutes sortes.
Soit ρ, la réalisation du
capital, lissée sur un temps long. Si, une année donnée, disons
l'année n, la réalisation du capital lissée sur un temps long,
correspond à 1 milliard, cela signifie que – en négligeant les
effets de temps court du crédit – l'ensemble des biens et des
services produits l'année suivante sera valorisé à hauteur de ce
qui sera dépensé pour les acquérir – le capital réalisé, donc,
1 milliard.
Si le capital réalisé de la
valeur ajoutée est ρ et
le capital thésaurisé est ε, alors la valeur ajoutée totale d'une
période donnée sera toujours égale à la somme des deux.
(2.8)
VA= ρ+ε
Pour être complet, le taux de réalisation du capital sera le
rapport entre le capital réalisé et le total de la valeur ajoutée.
(2.9)
Tρ = ρ/VA
et, le taux d'accumulation à
long terme
(2.10)
Tε = ε/VA
Il vient en divisant les deux termes de (2.8) par VA
(2.11)
Tρ+Tε = 1
Ce qui n'est pas épargné sur le long terme est dépensé et ce qui
est dépensé sur le long terme n'est pas épargné
En affinant la notion de
réalisation, en diminuant progressivement le temps pendant lequel on
va mesurer cette réalisation, on s'approche de la notion de flux, de
réalisation instantanée π. En mathématique, cette notion
s'exprime par la dérivée dans le temps :
(2.12)
= π
=
Ce
flux, cette dérivée de la réalisation par rapport au temps est la
productivité π,
la production de valeur économique – ou la réalisation de capital
antérieur – dans le temps. On notera que cette façon de voir les
choses permet d'exprimer la valeur ajoutée annuelle en intégrant
cette fonction dans le temps, sur deux années successives. Nous
avons
(2.13)
Selon l'affectation de la valeur ajoutée, le taux de réalisation du
capital varie, c'est-à-dire que la valeur ajoutée d'une année
donnée est déterminée par l'importance relative des éléments
constitutifs des valeurs ajoutées antérieures.
Examinons
les différentes composantes de la valeur ajoutée. Les bas salaires
et les salaires moyens sont intégralement réalisés à long terme.
Au mieux, le salarié va mettre de côté une partie de son salaire
pour une dépense exceptionnelle (du type véhicule ou logement, par
exemple) mais cet épargne sera temporaire et finira toujours par
être réalisée. Par contre, les très hauts salaires permettent une
accumulation sans réalisation à proportion de leur importance par
rapport au salaire moyen. De même, les dividendes sont accumulés à
proportion de leur importance : de faibles dividendes d'un petit
épargnant finiront sans doute par financer un achat, un jour, de
l'intéressé mais de gros dividendes ne seront jamais dépensés et
s'accumuleront à l'infini – ce qui dessine une fonction
exponentielle économiquement intenable sur le long terme.
À l'échelle des rentes, les rentes des petits épargnants ne
constituent qu'une goutte dans la mer et nous la considérerons comme
relativement négligeable : en simplifiant quelque peu le
problème, nous pourrons considérer la rente comme un tout dont le
taux d'accumulation est légèrement abaissé par la présence de
petits épargnants. Par contre, au niveau des salaires, la masse
salariales des petits salaires demeure importante puisque les petits
salariés sont infiniment plus nombreux que les salariés à haut
niveau de salaire.
Nous
allons donc affiner cette réflexion sur la création cyclique de
valeur ajoutée en dégageant deux valeurs de réalisation :
- le
taux de réalisation du capital de rente T
- le
taux de réalisation des salaires T
Pour
approcher la valeur extrême du taux de réalisation du capital de
rente, nous prenons la croissance des plus gros patrimoines humains
entre 1987 et 2013, en considérant que ces fortunes proviennent pour
l'essentiel de revenu de propriété lucrative et non de salaires.
Selon Piketty,
le rendement global du capital mondial se situe à 3,2 % pour la
période étudiée.
Sur
le stock, Tε = 3,2 % et, sur les revenus,
Tεlimite
=
100 % (Tρ=0%) puisque, quand les revenus deviennent infinis, la
part qui en est dépensée devient marginale.
Dans
la période considérée, entre 1987 et 2013, l'augmentation médiane
de patrimoine humain atteignait 1,4 % par an.
Sur
le stock, Tε
= 1,4 %, en nous fondant sur les données
de Piketty (p 286), en évaluant grossièrement le rapport entre le
stock mondial de capital et les revenus à 4:1 – chaque année, les
revenus correspondent à un quart du patrimoine mondial (Piketty, p.
738), nous obtenons un Tε
moyen de 5,6 % des revenus (et un Tρ
de 94,4% des revenus). La part des revenus du travail de l'OCDE
est passée de 66,1 % des revenus totaux à 61,7 %, soit
une moyenne de 63,5 % sur la période considérée.
Avec
ces données, nous pouvons extraire la valeur du taux d'épargne
salariale rapportée au patrimoine. La notion de patrimoine reprend
toutes les acceptions du capital : mobilier, immobilier,
foncier, les actions ou les produits dérivés, le liquide, les
avoirs, les comptes en banques, etc. En effet, sachant que la part
des revenus totaux du capital est de 36,5 %, que celle du
travail est de 63,5 %, en notant « patr. » le
patrimoine, « rev. » les revenus (quels qu'ils soient) et
« trav. » la part des revenus totaux du travail, nous
avons :
(2.14.1)
(2.14.2)
que je décompose en
soit
(2.14)
On
peut facilement extraire le facteur commun à tous les termes, le
rapport entre les revenus (annuels) et le patrimoine.
(2.15)
et, pour trouver la valeur du
taux d'épargne salariale rapporté au patrimoine total, nous avons :
(2.16)
soit
avec le taux d'épargne global rapporté au patrimoine à 1,4 %
et le taux d'épargne du capital rapporté au patrimoine à 3,2 %
(voir supra), il vient
(2.17)
soit
un
taux d'épargne du travail de 3,65‰
annuel
rapporté au patrimoine global sur la période considérée. Ce taux
d'épargne du travail doit être rapporté aux
revenus
du capital (il faut le multiplier par quatre puisque les stocks
représentent quatre fois les flux annuels). Il faut considérer les
revenus du travail par rapport aux revenus totaux
(36,5 %)
pour obtenir le taux d'épargne du travail par rapport aux salaires,
soit
(2.18)
Soit
une valeur de 5,3‰.
De même, nous pouvons calculer
facilement le taux de réalisation moyen du capital.
(2.19)
On convertit le patrimoine en
flux annuel (soit un dénominateur divisé par quatre) et dans la
proportion du revenu total dévolu au capital. On obtient un peu plus
de deux pour cents. Les revenus du capital sont épargnés à hauteur
de 2 % par an en moyenne globale, c'est-à-dire que leur taux de
réalisation est de l'ordre de 98 %.
Nous définirons le
comme l'indice d'épargne du capital par rapport aux revenus
globaux, c'est-à-dire le taux d'accumulation du capital ou encore
le coût du capital.
Ce taux est récurrent. Il
définit donc une fonction exponentielle.
|
Ce
taux de 2 % peut sembler ridicule mais si on considère la
formule générale de doublement d'une fonction croissante à raison
de 2 %:
(2.20)
n
est alors égal à ln(2)/ln(1,02), soit un peu plus de 35. C'est dire
que, tous les 35 ans, le capital aura accumulé l'équivalent de
la totalité des flux annuels qui le rétribuent. Cette
accumulation doublera tous les 35 ans (au bout de 70 ans, c'est deux
fois le flux annuel qui auront été accumulés ; au bout de 105
ans, c'est quatre fois ces flux qui auront été accumulés – plus
que l'intégralité des revenus, ceux du capital extrême, ceux du
capital moyen ou ceux du travail ensemble ; au bout de 140 ans,
c'est huit fois ces flux qui auront été accumulés ; au bout
de 185 ans, c'est seize fois le flux annuel, etc.). Cette période de
185 ans est moins longue que celle qui nous sépare du début de
l'ère industrielle.
Pour
nous résumer, en intégrant (2.11) à nos résultats, il vient ces
valeurs de taux de réalisation des différents capitaux rapportés
au patrimoine global :
(2.21)
T
=
0,00 ... %
T
= 98 %
T
= 99,99635%
Par
ailleurs, le PIB pourra être calculé par la somme des différents
postes antérieurs multipliés par leur taux de réalisation, soit
(en rappelant 4.2)
(2.22)
Avec :
(2.22.1)
(2.22.2)
(2.22.3)
(2.22.4)
À
création monétaire égale, à long terme, le PIB, en négligeant
les effets à moyen terme du crédit, sera donc d'autant plus élevé
que la proportion des salaires sera élevée et sera d'autant moins
élevé que la proportion des capitaux extrêmes sera importante ou,
dans le temps très long, que la proportion des capitaux moyens sera
importante.
Proposition
6
Pour
qu'il y ait production de valeur économique, il faut que de la
valeur économique antérieure soit dépensée, soit réalisée –
sans quoi, la production de biens et de services ne produit pas de
valeur économique mais des invendus.
|
Note
3. l'Allemagne contemporaine :
Notre
conclusion nous permet de faire le lien entre la situation de
l'Allemagne et sa très relative réussite économique. Ce ne sont
pas des facteurs économiques tels que la haute valeur ajoutée des
productions industrielles allemandes, ce ne sont pas les facteurs
culturels puisque, dans son histoire, l'Allemagne a connu des
périodes de déficit commerciaux mais c'est bien la place du salaire
en Allemagne qui explique ce très relatif succès.
En
ouvrant les frontières de ses voisins à ses exportations,
l'Allemagne s'est garanti des débouchés pour son ε,
pour son épargne au moment où cette épargne explosait du fait des
compressions salariales. Par ailleurs, l'implication d'une population
dans les revenus du capital assure une faible accumulation de ceux-ci
puisque ces revenus tiennent lieu de pension de retraite et son donc
mieux réalisés que leurs équivalents étrangers. Le libre échange
avec des voisins en croissance salariale (et en déficit, du coup) et
le vieillissement des propriétaires capitalistes sont des conditions
sine qua non au (très relatif) développement allemand.
Les
marchés de l'Est risquent, par contre, à force d'accumulation
progressive sous
forme
d’investissements,
de se fermer peu à peu aux débouchés allemands. Quant aux
retraités, la polarisation du modèle social allemand risque
d’obérer le
ε
au moment où il n'aura plus de marché extérieur pour réaliser la
valeur ajoutée qu'il capte. À ce moment-là, les heures de la (très
relative) prospérité allemande seront comptées sauf à y investir
massivement dans les salaires – ce qui solvabiliserait les marchés
mais ferait cependant l'impasse sur la baisse du taux de profit.
Notre modèle explique que le PIB devrait à tout le moins diminuer
voire s'effondrer rapidement – ce qu'il ne fait que périodiquement
et de manière imparfaite. Pourtant, les 700 trilliards de dollars
dans les produits dérivés signent bel et bien cette accumulation :
au moment où ils seront réalisés, toute l'économie s'effondrera.
Mais voyons quelles sont les stratégies d'évitement de ces
problèmes d'accumulation étudiées par Rosa Luxemburg.
La différence entre le PIB et la réalisation du PIB (=ε)
diminue la taille du PIB (de ε
et, au bout de n années de
) si les capitalistes ne trouvent pas de
nouveaux marchés non capitalistes, une nouvelle demande pour
solvabiliser la production. Nous avons déterminé avec le ρ
dans quelle proportion, dans quelle mesure, le capital devait trouver
de nouveaux marchés pour se maintenir et éviter son effondrement
modélisé par nos petites réflexions. Pour conquérir de nouveaux
marchés, le capitalisme peut
- augmenter les salaires sur les
pays émergents jusqu'au point de Lewis, point à partir duquel la
demande de travailleurs se fait très forte et les rapports de force
sur le marché de l'emploi emmène virtuellement les salaires des
pays en voie de développement vers les niveaux de ceux des pays déjà
développés en crise
- conquérir de nouveaux pays
non capitalistes, c'est l'option de la colonisation, de l'ouverture
forcée de marchés exclusifs captifs.
Luxemburg avait expliqué ce problème et en attendait un dénouement
tragique : quand les limites à l'expansion auront été
atteintes, la croissance du PIB par conquête de nouveaux marchés
deviendra impossible et notre ρ
prend alors tout son sens. Nous en sommes là aujourd'hui.
L'intégralité
des salaires est réalisée alors que le capital a tendance à
accumuler, à ne pas réaliser 2 % des revenus dont il est
rétribué – ce qui, à terme, définit une fonction exponentielle.
Note
4. la fonction exponentielle :
En
mathématique
Une
fonction exponentielle est une fonction mathématique, une formule
qui à chaque valeur de x associe une valeur de y, résultat du
calcul de la formule appliquée à la valeur de x.
Nous
avons, de manière générale.
(2.23)
Cette
fonction est dite exponentielle si elle suit la pente de la fonction
verte sur le schéma de Wikipédia, c'est à dire si elle peut
s'écrire sous la forme
(2.24)
Avec
k réel >1.
La
pente rouge représente une fonction dite linéaire (type
), la pente bleue représente une fonction cubique (type
).
En
économie
Si
on l'admet après K. Marx
que l'économie capitaliste fonctionne par cycles courts, ils se
décomposent comme suit si nous prenons le point de vue du capital:
-
Nous avons d'abord un capital C
-
Ce capital se ventile entre des investissements (les consommations
intermédiaires), des marchandises M et du salaire individuel ou
socialisé pour produire une marchandise M'
-
La marchandise est vendue pour son prix qui exprime la nouvelle
valeur du capital acquise au terme du processus, C'
Nous
avons un cycle court du capital genre C-M-M'-C'.
En
admettant que à chaque cycle court le capital thésaurise une
partie, mette une petite partie de ses bénéfices (C'-C) dans un bas
de laine qu'il ne dépense pas, nous devons considérer ce qu'il se
passe sur un temps long.
Mettons
que le taux d'épargne, d'accumulation du capital sur un cycle soit
T, nous aurons, à chaque cycle un capital thésaurisé égale à ce
taux d'accumulation multiplié par le bénéfice (C'-C). Soit A,
l'accumulation, il vient
(2.25)
Comme
cette opération se répète à chaque cycle, nous avons, pour un
cycle n,
(2.26)
Pour
chaque cycle, nous avons la différence entre le capital final et le
capital final, l'accumulation qui vaut le capital du cycle précédent
multiplié par le taux de profit, lui-même multiplié par le taux
d'accumulation de cette différence.
Il
convient de souligner que le taux de profit dont nous parlons ici est
le taux de profit du point de vue du capital. Ce taux de profit est
différent si l'on se place du point de vue du travail, il faut alors
parler de surtravail. En désignant par P la production de profit
économique par unité de temps, nous avons
(2.27)
ou,
encore, en se référant à un capital initial quelconque,
(2.28)
Ce
qui, par définition, est une fonction exponentielle à condition que
le taux de profit soit strictement positif (facteur P strictement
plus grand que 1), qu'il y ait accumulation (facteur T plus grand ou
égal à 1) et que le capital initial soit non nul.
Comme
on imagine mal un investisseur ne rien investir au départ et faire
travailler pour rien, sans bénéfice aucun ni accumulation aucune,
les conditions au caractère exponentiel de la fonction sont
certaines si le cycle est viable du point de vue de l’investisseur.
Par
contre, le capital produit, la valeur produite par le travail ne suit
pas une courbe exponentielle. Nous avons à chaque cycle, des
dépenses de capital qui valent les salaires plus les
investissements, plus les frais, plus la partie discrétionnaire du
capital accumulé.
Ces
dépenses nourriront immanquablement la valeur ajoutée d'entreprises
diverses et variées. C'est dire que la valeur produite vaut le
capital réalisé : s'il n'y a pas de dépense pour acheter des
choses produites, elles ne peuvent acquérir de valeur, elles ne
peuvent être reconverties en capital et ne correspondent à rien du
point de vue de la valeur produite.
Si
le propriétaire investit dans les infrastructures pour être plus
productif que la concurrence, dans un premier temps, il pourra
comprimer les salaires (et, au passage empocher la différence)
puisque les gains de productivité seront absorbés par les
dividendes. Dans un deuxième temps, la concurrence va adopter les
mêmes pratiques, ce qui contraindra le propriétaire à baisser ses
prix. Finalement, le propriétaire aura fait produire plus de biens
et de service mais ses employés auront généré une valeur ajoutée
inchangée.
La
différence entre les deux courbes, capital accumulé et capital
réalisé crée des cycles périodiques au terme desquels il y a une
nécessaire destruction de valeur accumulée. Cette destruction peut
prendre bien des formes: guerre, crise immobilière, faillite
bancaires, etc.
Pour
augmenter la valeur du capital réalisé, il faut augmenter les
salaires, notamment les salaires sociaux. Sauf à être elle aussi
exponentielle - proportionnelle à la courbe d'accumulation - cette
augmentation salariale ne suffit pas à surmonter la contradiction de
l'accumulation capitalistique, de son caractère exponentiel. Pour
lever cette contradiction, il faut qu'il n'y ait plus aucune
accumulation non réalisée, non dépensée, ce qui impliquerait que
la propriété disparaîtrait en tant que source de profit, ce qui
impliquerait de facto une socialisation des moyens de production.
Proposition
7
L'accumulation
du capital définit une fonction exponentielle.
Proposition
8
L'accumulation
du capital parasite le mécanisme de production de valeur
économique.
|
Cette
fonction exponentielle grippe la machine économique puisque la
concentration de valeur est ôtée à terme de la circulation
économique. Si, un jour de crise, les détenteurs de capital veulent
réaliser leurs bas de laine devenus gigantesques, s'ils veulent
réaliser leur capital accumulé, il n'y aura pas de production de
biens et de services sur laquelle adosser cette demande de valeur. En
d'autres termes, comme l'argent sert toujours, in fine, à
acquérir des biens et des services à valeur économique produits
par le travail abstrait des producteurs dans l'emploi et hors emploi,
la concentration de valeur liée à l'accumulation infinie du capital
est contre-productive en terme économique. L'accumulation de capital
ne soutient pas l'économie, elle la parasite.
Pour
produire du PIB, nous l'avons vu, il faut que des gens achètent les
marchandises, les biens et les services produits. D'une année sur
l'autre, pour ce faire, il faut voir ce qui, dans les revenus de
l'année précédente, va pouvoir être dépensé et être compté
comme valeur ajoutée de la nouvelle année. Le fait de produire des
millions d'automobiles en trop, d'amasser des stocks alimentaires ou
de construire des logements vides ne change strictement rien à
l'affaire. L'ensemble des chiffres d'affaire de l'ensemble des
entreprises, de l'État, des collectivités locales ou des
particuliers, sera égal à l'ensemble des prix de l'ensemble des
biens et des services qui auront trouvé acquéreur. Mais les gens ne
peuvent pas dépenser l'argent qu'ils n'ont pas. La parenthèse du
crédit ne fait qu'amplifier et reculer le moment où les clients
désargentés cessent de pouvoir acheter. Le crédit n'enrichit pas
le débiteur, il augmente le prix payé pour acquérir les biens et
les services à terme. Si le crédit enrichissait, ce serait un don –
et les banques deviendraient rapidement impécunieuses.
Pour
soutenir le PIB – en admettant que ce soit un objectif avec quelque
pertinence économique, nous y reviendrons – il est donc nécessaire
de réduire à rien la part du PIB consacrée au capital extrême
(puisqu'elle n'est pas dépensée ensuite et qu'elle disparaît des
circuits économiques sans aucun bénéfice pour personne), de
supprimer la part du PIB dévolue au capital moyen puisque, à long
terme, elle ponctionne et concentre l'ensemble de la valeur ajoutée
sans que cet argent retiré de l'économie puisse profiter à qui que
ce soit et de consacrer l'intégralité du PIB aux salaires (et aux
investissements qui seront intégralement constitués de salaires par
le truchement de dépenses d’achat de marchandises à prix).
Reproduction de la valeur ajoutée
Pour
conclure notre petite réflexion, nous avons constaté que la valeur
ajoutée produite sur une année donnée, le PIB dépendait
directement de la portion des valeurs ajoutées antérieures
dépensée. En effet, on ne produit pas de valeur s'il n'y a personne
pour acheter les biens et les services produits. La valeur ajoutée
est donc déterminée par la portion de la valeur ajoutée dépensée,
réalisée. Nous avons défini une fonction pour étudier la
réalisation de la valeur ajoutée en fonction de la nature de son
affectation. Les salaires – qu'ils soient socialisés, comme le
chômage, les pensions de retraite ou d'invalidité ou non – sont,
dans un temps long, intégralement dépensés (pour être précis,
selon nos calculs, à
99,99635%
voir 2.21). C'est-à-dire que, pendant qu'un salarié (en emploi ou
au chômage, à la retraite, en invalidité, peu importe) épargne,
un autre réalise une épargne antérieure et, l'un dans l'autre, les
salaires dans leur ensemble ne sont guère épargnés. La
rémunération du capital moyen peut sembler réalisée dans une
forte proportion (98%). Cette proportion, pour élevée qu'elle
paraisse, phagocyte pourtant à long terme l'intégralité de la
valeur économique. Quant à la rémunération du capital extrême,
celui des propriétaires multi-milliardaires, elle disparaît tout
simplement de l'économie productive, puisque la part dépensée en
est marginale. Elle n'intervient plus dans
la
production de valeur ajoutée ultérieure.
De
ce fait, seuls les salaires (quelle qu'en soit la forme) créent de
la valeur ajoutée sur le long terme. Toute forme de rémunération
du capital obère à terme le processus de création de valeur
économique – et toute forme de rémunération du capital extrême,
toute rémunération somptuaire,
disparaît
de l'économie réelle immédiatement.
Création de la valeur économique
Pour bien comprendre le processus de création de valeur source de
nombreux malentendus, il nous faut d'abord insister à nouveau sur la
distinction entre travail concret – le fait de faire des
choses – et le travail abstrait – le processus de création de
valeur économique. Illustrons la distinction entre le travail
concret et le travail abstrait par un petit exemple. Si un
instituteur, une institutrice apprend à compter à un enfant, il ou
elle est rémunéré pour ce faire dans le cadre de l'emploi. La
reconnaissance économique de la valeur de son travail est son
travail abstrait. Il s'agit de son salaire, son grade, sa
qualification, son degré de rémunération, son barème, son titre
ou son statut. Par contre, face à la demande concrète d'un
enfant d'apprendre à compter pour son jeu, pour son projet, du fait
de sa curiosité, la même personne, en famille, répond à un désir
d'un apprenant par un travail concret sans contrepartie abstraite,
économique. Dans les deux situations, le travail concret est
strictement le même. S'il s'agit de la même personne, il y a fort à
parier qu'elle va mettre en place les mêmes techniques pédagogiques
pour arriver à ses fins. Mais dans le second cas, il n'y a pas de
reconnaissance économique sociale. Dans les deux cas, il
s'agit d'activité économique au sens strict mais sans attribution
de valeur économique dans le second cas. De même,
l'auto-construction est dénuée de valeur économique alors que, par
définition, il s'agit de la même activité que celle d'un
entrepreneur de la construction traditionnelle ; le potager
familial peut nourrir des peuples entiers avec une alimentation de
première qualité mais il n'est pas non plus sanctionné par une
reconnaissance économique contrairement à l'agro-industrie
productrice d'une alimentation de faible qualité nutritive.
Proposition
9
L'ensemble
des salaires constitue le travail abstrait. Le travail abstrait
crée la valeur ajoutée.
Proposition
10
La
rente parasite la création salariale de valeur économique.
|
Cette dichotomie travail concret uniquement et travail concret avec
du travail abstrait n'est nullement réservée à la production
« primaire », elle se retrouve dans les secteurs les plus
pointus de la recherche, de la spéculation intellectuelle ou de la
formation. Galilée n'a jamais effectué ses recherches dans un cadre
de travail abstrait contrairement à Tesla. Au contraire, l'astronome
a pris le risque du déclassement pour affirmer son point de vue
alors scientifiquement controversé.
Nous parlons ici du travail, non de l'emploi qui est une institution
capitaliste régie par la propriété lucrative. Cette institution
encadre le travail : l'activité dans le cadre de l'emploi est
bien du travail mais le travail n'est pas réductible au seul emploi.
Note
5. Travail abstrait – travail concret
Le
travail abstrait ressortit à la valeur économique, à la valeur
d'échange. Cette valeur est construite par les rapports de force
sociaux - étrangers à la nature en tant que telle. Cette valeur est
liée à la reconnaissance d'une valeur relative produite par un
travail concret. Les différences de valeurs relatives produites par
du travail concret spécifique construisent la hiérarchie des
valeurs économiques, des valeurs d'échange. Le travail abstrait est
construit par la valeur sociale, par la hiérarchie sociale des
valeurs. C'est là que se joue aussi bien la lutte des classes que la
définition d'une société pour elle-même.
Selon
une vision marxiste de l'anthropologie, les deux types de travail
(concret, lié à la nature et abstrait, lié aux rapports de force
sociaux) sont consubstantiels à l'humanité. L'enjeu est alors de
faire bouger les lignes par rapport à la définition du travail
abstrait - mais, là, les tactiques envisagées sont aussi multiples
que le nombre de dissidences, d'écoles, de chapelles, de mouvements
marxistes ou marxisant.
Les
rapports de force sociaux qu'atteste le travail abstrait sous toutes
ses formes – que ce soit les salaires des employés, des
fonctionnaires, des ouvriers, des chômeurs, des retraités ou des
invalides ou les dividendes et les investissements – s'inscrivent
dans une perspectives historique dynamique. Les différentes
composantes de la société se battent pour modifier à leur avantage
la définition de la valeur économique ou pour maintenir leur
domination sur celle-ci. La guerre des classes elle-même peut être
considérée de ce point de vue comme une partie du combat pour la
définition de la valeur. Les bourgeois au sens marxistes, les
propriétaires des moyens de production, veulent réduire la
production de valeur économique à la rente alors que les
travailleurs entendent se débarrasser de la rente pour faire
coïncider la définition de la valeur économique avec le seul
travail.
L'ensemble
de la valeur économique est intégré dans les prix des
marchandises. La valeur ajoutée que génère l'activité d'une
entreprise n'est pas le seul élément qui compose les prix de ses
marchandises puisque la valeur économique se crée aussi bien par
cotisation ou par impôts.
On peut toucher un salaire ou un revenu sans rien faire de
concret, en étant placardisé alors que l'on peut faire le
ménage, garder des enfants, leur apprendre une langue, avoir une
production agricole familiale sans être rémunéré. Le travail
concret, les biens et les services incarnés ne sont pas
nécessairement attachés à de la valeur économique et la valeur
économique n'est pas toujours attachée à du travail concret. Les
fonctionnaires ou les chômeurs, les retraités touchent un salaire
intégré dans les prix des marchandises qu'ils ne produisent pas
eux-mêmes. Ce n'est pas qu'ils ne font rien, c'est que leur
rémunération est détachée de tout travail concret. Le salaire
touché par les fonctionnaires, par les chômeurs, par les retraités
crée de la valeur économique intégrée dans le prix de
marchandises dans la production desquelles ils n'interviennent pas.
Pour comprendre ce qu'il se passe avant d'en revenir à notre thèse
de la reproduction de la valeur économique par les seuls salaires,
il importe d'évoquer des cas d'école. Quand on a augmenté les
prélèvements obligatoires, les cotisations en Europe à la
Libération, le PIB, la valeur ajoutée nationale, a augmenté.
Inversement, depuis 40 ans, les prélèvements obligatoires ont
tendance à diminuer ou à stagner or le PIB stagne lui aussi ou
diminue.
Cette perspective strictement économique ouvre des portes
intéressantes par rapport à la crise du travail. Les salariés hors
emploi créent de la valeur économique sans que leur travail
abstrait, leur salaire soit directement lié à leur travail concret.
La déconnexion entre le travail concret et le travail abstrait
libère le travail concret du carcan de l'actionnaire, du profit et
de la rentabilité. Elle ouvre le temps du travail, elle permet
d'investir le désir dans l'acte sans considération pour une
hiérarchie avide de plus-value. La valeur salariale chère à Friot
pose la question anthropologique :
sommes-nous capables de produire sans incitation, sans aiguillon de
la misère, sans contre-maître, sans patron ? À part pour
justifier les classes en situation de pouvoir, en situation de
pouvoir profiter du travail extrait et géré par l'aiguillon de la
nécessité, on comprend mal pourquoi l'ensemble de la création
parvient à travailler, à combler ses besoins sans recours à la
police, à la faim, à la propriété lucrative. À l'heure où le
modèle de l'emploi provoque une crise écologique, psycho-sociale et
sanitaire majeure, l'objection anthropologique paraît un peu
compromise.
Proposition
11
La
maîtrise par la propriété lucrative du travail abstrait
endommage l'environnement naturel et humain.
|
Note
6. les prélèvements et les salaires sont des ajouts de PIB, pas des
ponctions
Pour
reprendre ce qui a été écrit
Tout
se passe comme si les prélèvements étaient des ajouts de
PIB et non des ponctions – fût-ce sur les profits.
1.
Il nous faut d'abord distinguer la valeur et la valeur d'échange.
L'économie s'occupe de production de valeur d'échange, non de
valeur d'usage. L'employé est payé non pour produire des biens et
des services (s'il en produit, c'est de manière, paradoxalement,
accessoire), il est payé pour produire une valeur ajoutée. Cette
valeur ajoutée peut ne correspondre à aucune valeur humaine
produite - valeur en terme de besoins ou de désirs matériels ou
non.
Prenons
l'exemple d'une compagnie ferroviaire quelconque. Elle gère des
infrastructures de transports, du matériel roulant, du transport de
marchandises et de personne. Tous ces différents secteurs se rendent
mutuellement service sans qu'il y ait facturation. Dans le cadre de
la privatisation en Grande-Bretagne, les différentes sections ont
facturé leurs prestations aux autres ce qui a créé de la valeur
ajoutée sans le moindre supplément d'activité ou de service
produit.
La
convention du travail porte sur une création de valeur (d'échange)
ajoutée, non sur la façon, l'ouvrage ou la réalisation de biens et
de services en particuliers. On peut être payé pour saboter, pour
abîmer, pour gâcher, pour salir, pour polluer ... ce qui ôte de la
valeur d'usage au cadre de vie de la communauté. De sorte qu'un
couvreur n'est pas payé pour faire un toit mais pour produire de la
valeur d'échange ajoutée par le biais de chantier. Ceci a l'air
anodin mais ne l'est pas du tout puisque la logique de la valeur
d'usage voudrait que le toit fût correctement effectué alors que la
logique de la valeur d'échange exige que l'ouvrage soit réalisé le
plus rapidement possible et que les défauts de façon soient
couverts par l'assurance ou invisibles.
2.
L'emploi est une convention qui rémunère des gens, les employés,
contre un salaire. Cette rémunération sanctionne la création de
valeur ajoutée que génère leur activité. La valeur ajoutée,
c'est le prix moins les frais.
(1)
Dans
la valeur ajoutée, créée par le seul travail abstrait (le capital
ne crée pas de valeur, essayez d'enterrer une boîte à chaussure
remplie d'argent et, au bout d'un an, je vous promets que n'aurez
absolument aucune bonne surprise).
Cette
valeur ajoutée est constituée
-
des salaires (individuels et socialisés)
-
des investissements qui appartiennent aux propriétaires lucratifs
alors qu'ils sont produits, comme nous le voyons, par le travail
comme valeur ajoutée
-
des dividendes reversées aux propriétaires lucratifs comme gabelle,
ces propriétaires peuvent être des propriétaires directs, des
actionnaires ou des créanciers.
(2)
3.
La totalité des valeurs ajoutées à l'échelle d'un pays
constitue le PIB (ou PNB selon qu'on tienne compte du territoire
sur lequel se déploie l'activité économique ou de la nationalité
des acteurs économiques).
4.
Les salaires sont constitués par les salaires socialisés et par
les salaires individuels. Les salaires individuels figurent sur
les fiches de paie. Ils sont néanmoins amputés par les TVA sur la
consommation.
Les
salaires socialisés sont constitués de
-
la sécurité sociale financée par la cotisation sociale
-
les salaires des fonctionnaires financés par les impôts.
Pour
poursuivre la démonstration
5.
Les salaires sociaux ne coûtent rien aux salaires individuels.
Cette
notion est peut-être la plus délicate à comprendre dans la
démonstration.
Nous
avons plusieurs éléments de preuve : quand on rajoute une
cotisation sociale ou qu'on l'augmente, cela se répercute sur le
PIB, pas par une diminution de salaire individuel.
D'autre
part, quand un salaire individuel est amputé de cotisation sociale
(c'est le cas, à des degrés divers, de tous les 'contrats aidés',
de tous les contrats 'jeunes' et autres monstruosités
anti-sociales), on voit que le salaire individuel n'augmente pas
(voire diminue).
6.
Les salaires sociaux soutiennent les salaires individuels.
Ceci est plus simple à comprendre, plus intuitif. Si les chômeurs
ou les retraités perdent toute allocation, ils vont chercher un
travail à tout prix - y compris au prix du salaire. Ces malheureux
vont inéluctablement pousser les salaires de leurs collègues à la
baisse.
7.
Les salaires - individuels ou sociaux - sont dépensés quasiment
intégralement (contrairement aux dividendes). Un salaire dépensé
l'est en tant que valeurs ajoutée de certaines productions. Mettons
que je dépense mon chômage, mon salaire fonctionnaire ou mon
salaire ouvrier à acheter des machins, l'achat de ces machins crée
une valeur ajoutée, permet de transformer une production en capital
à des entreprises qui, du coup, peuvent tourner.
Petite
parenthèse:
En
termes marxistes de reproduction du capital, on notera les choses
comme suit:
(3)
C
- M - M' - C'
Le
capital initial est investi en marchandises (y compris de l'emploi,
du salaire); il devient d'autres marchandises par la logique de
l'emploi, lesquelles sont revendues pour un capital C'. Il est clair
que, pour pouvoir vendre M', il faut avoir nécessairement un
capital, C', qui est augmenté. Pour que le capital soit augmenté,
il faut que la partie réalisée du capital augmente avec
(4)
C'=
Investissements + Salaires réalisés
Avec,
comme principe, que les bas salaires sont presque intégralement
dépensés à terme, comme nous l'avons vu, qu'ils sont réalisés et
que seuls les salaires très élevés peuvent épargner - et encore,
cette épargne est globalement finalement réalisée à moins d'être
un rentier, comme nous l'avons vu.
De
ce fait, quand les salaires augmentent (et nous ne distinguons pas
les salaires individuels et les salaires socialisés dans notre
raisonnement), la valeur ajoutée au terme du processus de production
augmente
(5)
M'>M
avec C'>C
Cela
vous paraît incroyable que le client avec son salaire crée
l'activité ? Il crée en tout cas le prix, la valeur ajoutée
de la marchandise et les autres éléments inclus dans ce prix. Voyez
le taux de chômage, voyez la rage avec laquelle la publicité tente
de conquérir ledit client, voyez, tenez, par exemple, les
sandwicheries qui fleurissent autour des lycées. Sommes-nous dans
une économie qui ne produit pas assez ou dans une économie dont le
problème est de trouver des marchés solvables pour écouler sa
production? Pourquoi les sandwicheries apparaissent-elles près des
écoles, là où les collégiens se bousculent pour acheter leur
collation, et non là où les boulangers abondent ?
8.
Quand on met ces éléments ensemble, on constate que le chômeur, le
retraité ou le fonctionnaire créent le salaire socialisés qu'ils
touchent ou, pour le dire autrement, s'ils cessaient de toucher leurs
indemnités, elles iraient d'abord aux dividendes. Comme les
entreprises sont en concurrence entre elles, elles seraient
finalement amenées à diminuer leur taux de bénéfice ce qui
ramènerait les valeurs ajoutée à leur niveau de départ diminué
des salaires sociaux.
Donc,
les gens qui touchent les salaires sociaux les créent en tant que
valeurs économiques. Si on supprime ces salaires sociaux, on ampute
le PIB d'autant sans que personne n'en profite.
Il
y a mieux : comme les salaires se contractent avec la diminution
des salaires sociaux, la demande diminue. Comme la demande diminue,
la valeur ajoutée totale diminue, ce qui pousse à comprimer les
salaires, comme les salaires sont diminués, la demande se contracte,
etc.
C'est
ce qu'on appelle une crise de surproduction.
En conclusion, les salaires – sous quelque forme que ce soit,
individuels, socialisés par la sécurité sociale ou liés aux
impôts et à la fonction publique – créent le PIB. À l'occasion
de ce processus salarial de création de valeur économique,
l'accumulation de valeur économique de la rente s'enfle à l'infini
au risque de mettre en péril ce qu'elle parasite. Cette accumulation
est mortelle à terme pour l'économie productive.
Ce processus de création de PIB est à distinguer du processus de
création matérielle qui lui est parfois lié. La création de biens
et de services concrets est aussi bien organisée que sabotée par
l'accumulation capitaliste. À l'inverse, la création de biens et de
services concrets, le travail concret, que permet la séparation du
salaire et l'exercice d'une profession, ouvre des perspectives
étonnantes. Nous sommes face à un choix métaphysique :
faut-il laisser le monopole de la production réelle à
l'accumulation capitaliste ou, au contraire, étendre les sphères
libérées de sa pression pour émanciper le travail réel de la
production de valeur économique ? Au fond, il s'agit de
répondre à la question de savoir si l'humain va continuer à
produire sans l'aiguillon de la nécessité, si l'être vivant est
fondamentalement adapté à la vie, aux exigences de la production et
de la reproduction ou s'il a besoin
d'un État régulateur tout puissant ou, variante libérale, d'une
main invisible toute puissante. Il s'agit de savoir si nous sommes
oui ou non adaptés à ce que nous sommes.
Les dégâts de la production capitaliste par accumulation, la
multiplication des comportements irresponsables ou nuisibles qu'elle
encourage et l'épuisement des ressources qu'elle génère
constituent un début de réponse. Le fait que la production de
valeur économique soit liée aux seuls salaires, le fait que
l'accumulation soit nécessairement un système de Ponzi à
terme plaident également dans le même sens. Il se pourrait que ce
ne soit pas l'être humain qui soit inadapté à son monde mais un
système économique en particulier qui soit en décalage par rapport
au fonctionnement de l'économique et de l'humain.
Proposition
12
Les
prestations sociales sous toutes leurs formes et les traitements
des fonctionnaires sont des salaires.
Proposition
13
En
tant que salaires, les prestations sociales et les traitements des
fonctionnaires créent la valeur économique.
|
Note 7. Les suppléments obligatoires (Harribey)
Pour
Harribey, les impôts fonctionnent au niveau collectif comme un
supplément obligatoire de valeur. Ce supplément vécu comme une
ponction au niveau individuel est un ajout au niveau social :
lesdits prélèvements obligatoires sont effectués sur un produit
global déjà augmenté de l'activité non marchande, c'est-à-dire
du fruit du travail des salariés qui y sont employés.
Selon l'économiste français, ce supplément ne fonctionne que
dans une économie de sous emploi : dès lors qu'on est en
situation de sous-emploi et qu'il n'y a pas de substitution probable
d'activités non marchandes à des activités marchandes.
(…)
[L]es services publics ne sont donc pas fournis à partir d'un
prélèvement sur quelque chose de préexistant. Leur valeur
monétaire, mais non marchande, n'est pas ponctionnée et détournée ;
elle est produite. Dès lors, dire que l'investissement public
évince l'investissement privé n'a pas plus de sens que dire que
l'investissement de Renaud évince celui de Peugeot-S.A. ou de Vinci.
Dire que les salaires des fonctionnaires sont payés grâce à une
ponction sur les revenus tirés de la seule activité privée n'a pas
plus de portée que si l'on affirmait que les salaires du secteur
privé sont payés grâce à une ponction sur les consommateurs.
Sans
nous prononcer sur ce que Marx appelait l'extension de la classe
servile, nous serons tentés d'extraire de cette proposition toutes
ses conséquences. L'impôt est une création de valeur qui s'ajoute
au PIB. De la même façon, comme le souligne B. Friot, les
cotisations sociales sont un ajout de PIB, de valeur ajoutée, c'est
un mode de création de valeur. De manière encore plus générale,
c'est l'ensemble des salaires qui constitue le PIB, la valeur
ajoutée, c'est l'ensemble des salaires qui est un supplément de
valeur économique que la rente parasite. En considérant ce que les
économistes vulgaires nomment des coûts comme la source de
la richesse économique, nous
-
adoptons un autre point de vue, celui de l'économie et non celui,
individuel, de la maximisation des profits ; nous quittons la
chrématistique pour entrer dans l'économie
-
nuançons (ainsi que le fait Harribey lui-même) la proposition
« l'impôt crée la valeur » en divisant l'impôt en deux
catégories : la partie qui est dévolue aux salaires est un
supplément économique et la partie dévolue aux créanciers est un
parasitage, un gaspillage inutile et contre productif.
Capital et création de valeur
Comme
les capitaux ne correspondent plus à rien, ils ponctionnent les
salaires, les parasitent alors qu'ils ne créent (sur le long terme
pour les capitaux moyens et sur le court terme pour les capitaux
extrêmes) absolument aucune valeur économique. Le seul taux
d'imposition légitime de la rémunération du capital est donc de
100 % pour en éviter les effets délétères à terme – toute
imposition à un taux moindre légitimerait une source de revenus,
mettrait le trésor public sous la dépendance des rendements du
capital puisqu'il en tirerait profit. Mais la rente, comme elle n'est
pas réalisée intégralement, met en danger la production de valeur
économique à terme.
Par
ailleurs, tous les créanciers ayant épargné sur des revenus du
capital, il est économiquement totalement aberrant d'honorer quelque
dette que ce soit – le ρ
des
salaires est de presque 100 %.
Un système de coercition qui force des gens pauvres à vendre leur
force de travail pour rembourser – et le principal et les intérêts
– de receleurs n'a aucune légitimité éthique.
Note 8. les dettes
Face
à la perte de pouvoir d'achat, à la stagnation des salaires, les
travailleurs américains ont eu recours à l'endettement pour
conserver leur niveau de vie, pour acquérir des biens immobiliers à
partir du mitan des années 1990. Cet endettement a éclaté parce
que, au moment de rembourser les dettes, les salaires américains ne
suffisaient pas à solder les comptes. Les dettes ne sont pas des
dons : tout ce qui est donné doit être rendu grevé
de ses intérêts. Au final, en tenant compte de tous les
remboursements à travers le temps, la dette n'augmente pas le niveau
de vie ou la capacité de dépense et d'équipement mais les diminue
au contraire. En empruntant une somme à un taux d'intérêt, on
devra payer cette somme en retour plus les intérêts – on
aura dépensé davantage pour acquérir la chose achetée que si on
avait pu la payer comptant. Les dettes agissent donc comme des
machines à augmenter le prix effectif de toute chose, des machines à
grever la part salariale réelle de la valeur ajoutée au profit de
la part des rentiers. Les créanciers sont par définition des
rentiers et la réalisation de leur capital n'est pas intégrale, ce
qui menace le système de production de valeur économique à long
terme.
Par
exemple, pour rendre la chose concrète, si nous reprenons la formule
de calcul des mensualités traditionnelles :
(1)
avec m=mensualité ; K=le capital emprunté ; t= taux
annuel proportionnel ; n= le nombre de mensualités, on a
Avec
cette formule, on constate qu'une personne qui emprunte 100.000€
sur 15 ans à 6 %, payera 180 mensualités de 844€ soit un
total de près de 152.000€. Pour le dire simplement, la maison que
l'emprunteur aurait dû acheter 100.000€ lui aura coûté dans
notre simulation plus de 50 % en plus. Sur les quinze années du
crédit, cette somme de 52.000€ ne pourra être consacrée à autre
chose : le crédit aura appauvri l'emprunteur.
Les
personnes, les institutions ou les pays endettés doivent gagner de
l'argent à tout prix pour rembourser leurs créanciers en
transformant leur économie en chrématistique, en transformant la
gestion de leur appareil productif en art de gagner de l'argent à
tout prix. Le remboursement de la dette n'est néanmoins pas toujours
jugé légitime, les particuliers et les institutions font faillite
et les États font défaut.
Toute
dette connaît cette fin-de non paiement parce qu'elle repose sur une
fonction mathématique exponentielle. Cette fonction mathématique
aboutit à des montants astronomiques, impayables à plus ou moins
long terme. C'est pourquoi, périodiquement, pendant l'antiquité
aussi bien qu'au Moyen-Âge, des pardons, des acquittements de dette
étaient prévus.
En
attendant le défaut ou la faillite, la dette pousse à l'emploi. Les
employés endettés doivent vendre leur force de travail pour honorer
leurs dettes; de même, les propriétaires d'entreprise endettés
doivent tirer un maximum de valeur ajoutée en diminuant les
salaires. Les dettes poussent à piller les ressources naturelles, à
externaliser les coûts de production pour maximiser les bénéfices
pour payer les créanciers.
Qu'importe
alors que ces créances aient été obtenues en volant les personnes
endettées elles-mêmes, les pays endettés bradent leurs ressources,
les travailleurs endettés se vendent à vil prix par peur de
l'huissier et de la fin du crédit. Les créanciers sont également
les propriétaires des usines - ou sont leurs créanciers - qui
exploitent les ressources naturelles bradée et les ouvriers
endettés. Par la dette, ils maintiennent une pression sur le marché
de l'emploi, une pression sur les ressources naturelles, augmentent
leurs profits et la logique d'exploitation de l'emploi.
Toute
accumulation - au fondement de toutes les créances - est créée en
ponctionnant la valeur ajoutée produite par les travailleurs
abstraits récipiendaires de salaires, quelle qu'en soit la forme. Au
fond, les créanciers avancent l'argent volé aux producteurs à ces
derniers qui doivent, du fait de leurs dettes, travailler davantage
sous le joug de l'emploi, ce qui baisse le prix de l'emploi et
augmente les bénéfices des créanciers, la partie de la valeur
ajoutée créée par le producteur qu'ils ponctionnent.
Définition
La
dette est détenue par des gens qui ont pu épargner sur leurs
revenus. Sans s'attarder sur le petit épargnant qui place des
économies en créances de la dette publique,
en obligations, puisque ce petit épargnant va finir par réaliser
son capital, dans une voiture, dans une maison ou dans des études
pour ses enfants. La partie de la dette publique détenue par les
petits épargnants est très faible.
Les
gens qui peuvent épargner sont essentiellement des gros revenus -
soit des salaires mirobolants, soit des revenus issus des dividendes,
éventuellement par le truchement de produits financiers plus ou
moins farfelus. Si c'est une épargne issue de salaires mirobolant,
elle grève la productivité puisqu'il s'agit d'une partie non
dépensée du capital produit; si c'est de l'épargne issue de
dividendes, il s'agit d'un vol de valeur ajoutée au producteur.
En
tous cas, les créanciers ont obtenu leur argent soit de manière
contre-productive, au détriment de la production de valeur
économique par les salaires, ce sont alors des boulets dont il faut
réduire l'effet délétère sur l'économie, soit par vol. Il faut
alors saisir les biens recelés et les restituer à leur légitimes
propriétaires, les salariés.
La
rémunération de l'argent, le taux d'intérêt était considéré
comme de l'usure par les grandes religions. Quand elle n'était pas
tout simplement prohibée, elle était strictement encadrée,
réglementée. Comme les plus riches détiennent les créances, les
taux d'intérêt usuraires concentrent toute la richesse économique
dans leurs mains, ce qui, finalement, a toujours grippé la machine
économique.
Les
taux d'intérêt sont une pyramide de Ponzi, une escroquerie en
cascade car ils sont gagés sur un travail abstrait à venir et sa
production marchande par un argent qui ne correspond à aucun
travail concret. Par ailleurs, du fait même de l'accumulation sans
limite, les taux d'intérêts sabordent l'économie productive et
l'efficacité du travail concret. Ils définissent une fonction
exponentielle. Qu'on en juge.
Si
Don Quichotte avait emprunté un euro à 5%, il devrait rembourser
aujourd'hui près de 300 millions d'euros. Une paille.
Si
Jésus avait emprunté un euro sur les marchés à 5% également, il
devrait aujourd'hui payer 4,508779821×10⁴²€, soit l'équivalent
de 1,734146085×10³⁵ tonnes d'or, 29 trilliards de fois la masse
de la terre en or pur. Pour un euro, notez-le bien. C'est
probablement ce que les économistes vulgaires appellent « vivre
au-dessus de ses moyens ».
Proposition
14
Les
créances sont le fruit de l'accumulation.
Proposition
15
Avec
la proposition 5 et la proposition 14 : les créances sont le
fruit de la rente.
Proposition
16
Les
créances ne sont pas légitimes en termes économiques.
|
Comme
le salaire est la seule source de valeur économique pérenne et que
les intérêts consentis aux propriétaires des outils de production
menacent l'économie à long terme, il convient de s'interroger sur
le fonctionnement d'une
propriété
qui permet d'accaparer une partie des fruits du travail d'autrui, une
partie de la valeur créée à l'occasion de son salaire. Cette forme
de propriété, la propriété lucrative, obère juridiquement la
notion de contrat entre parties égales en droit, ce qu'attestent les
innombrables réglementations, lois, décrets qui régissent les
contrats de travail : le contrat entre deux sujets consentants
ne
devrait pas être l’objet de
tant
de lois si c’était des sujets de droit effectivement libres.
C'est
parce
que ces sujets s'inscrivent dans une relation contrainte, asymétrique
que
toutes ces lois doivent exister. Au regard de cette asymétrie entre
la partie contrainte par l'aiguillon de la nécessité et la partie
non contrainte, les relations de travail en emploi s'inscrivent en
fait sinon en droit dans des relations de subordination et trahissent
l'idéal libéral de l'égalité en droit et de la liberté des
parties.
C'est
tout l'intérêt de la démarche de Bernard Friot qui explore des
pratiques de la valeur sans propriété lucrative, sans actionnaire
ou sans créancier qu'il faut rémunérer. Cette réflexion a, outre
le fait qu'elle rend l'économie pérenne comme nous l'avons vu,
l'intérêt d'émanciper
le travail.
Note
9. À l'origine de la valeur
Lors
d'une conférence de Bernard Friot, l'économiste exposait l'idée de
calculer les prix en multipliant les consommations intermédiaires
par un facteur de 1,25 (si ma mémoire est bonne, peu importe). Un
auditeur avisé remarqua que, si l'on multipliait les consommations
intermédiaires par 1,25, les productions de matières premières ne
pourraient pas produire de valeur économique puisqu'elles ne
nécessitaient que de
la main-d’œuvre, sans consommation intermédiaire. Par suite de ce
manque de production de valeur économique, toute
valeur
économique allait disparaître par contamination. Cette question
s'inscrit dans une vision de l'économie comme une pyramide dans
laquelle la valeur économique suit un trajet linéaire, montant (du
secteur primaire au secteur quaternaire), gonflant à mesure que le
travail humain lui donne de l'importance. C'est une vision fort
commune – et fort conforme à notre sens commun. Pourtant, après
les réflexions que nous a inspirées cette intéressante remarque
nous arrivons à la conclusion que toute production de valeur
économique est sociale, d'emblée. Les champignons que l'on ramasse
sans équipement, sans louer d'emplacement pour les vendre, sans les
transporter au moyen d'un véhicule, etc. Les champignons sans
consommation intermédiaire sont des champignons qui n'ont déjà
pas
de prix, ce sont ceux que vous allez cueillir le dimanche en famille
pour les rissoler. Les autres champignons, ceux du marché,
nécessitent un équipement, un véhicule ; ils doivent être
vendus sur
un étal (qu'il faut acquérir), sur un emplacement loué. Quant aux
champignons industriels, ils nécessitent des investissements lourds,
du matériel de haute technologie, un transport mécanisé à
l'extrême, etc.
De
même, le pétrole, la mine ou l'agriculture sont des secteurs dits
primaires
dans
lesquels la valeur ajoutée est essentiellement le fait des
investissements, dans lesquels la rémunération de la main-d’œuvre
joue un rôle marginal (sur une ferme, le gros des dépenses part en
bâti, en entretien de bâti, en matériel – souvent à haute
technologie, même dans une petite exploitation biologique – et en
énergie. Si la remarque de l'auditeur avisé est très pertinente
pour l'art (dans lequel le salaire est déterminant dans un premier
temps) ou la restauration, elle peut certainement se résoudre, si
l'on veut mettre au point les propositions de Friot de pratique
salariale de la valeur par des ajustements techniques, des modes de
calcul spécifiques, un coefficient de 1,25 minimum,
etc. Pour
ce
qui nous concerne, la question ne se pose pas à ce niveau-là. Cette
question nous fait découvrir que la valeur économique ne suit pas
un parcours linéaire, séquentiel unique mais qu'elle s'inscrit dans
un réseau autoréférentiel. Si l'on néglige la valeur ajoutée, le
camion qui extrait le minerai de fer a de la valeur parce que le
métal qui le constitue a de la valeur et ce métal a de la valeur
parce que le minerai en a. In
fine, c'est
l'ensemble de la valeur économique qui a de la valeur économique
parce que la valeur économique … a de la valeur économique. La
valeur économique fonctionne comme un crédit auto-référentiel en
réseau. Ce crédit auto-référentiel en réseau se nourrit
d'éléments extérieurs tels les ressources naturelles et le temps
humain. La valeur économique est une tautologie, un solipsisme de
réseau.